
Il existe, d’une part, un vent qui est, au sens propre du terme, réactionnaire. Constatant les dysfonctionnements de l’école, ce courant propose un retour à une situation passée mythifiée. L’époque où les maîtres étaient respectés, où les élèves travaillaient et connaissaient l’orthographe grâce à la pratique générale du latin, etc. Ce discours de déploration donne lieu régulièrement à des pamphlets ou à des témoignages de jeunes enseignants qui dénoncent les désordres scolaires, l’impuissance ou la lâcheté des autorités, la montée de la violence et du communautarisme, le règne de la pédagogie au détriment des savoirs. Ce discours a des relais politiques souvent à droite, mais parfois à gauche. On prône la sanctuarisation des établissements scolaires, le retour à l’autorité voire à l’uniforme, l’instruction civique entendue comme célébration des symboles de la République, etc. Ce courant s’exprime volontiers dans la presse conservatrice (Le Figaro et Valeurs actuelles), il est en phase avec une partie de l’opinion qui ne manque pas d’exemples de désordres scolaires mis en exergues par les médias.
(...) A partir de l’appel aux principes républicains et à la laïcité, une partie de la gauche enseignante se retrouve sur des positions souvent voisines de celles de la droite conservatrice, notamment sur fond de critique de la pédagogie et des IUFM. Des organes de presse comme Marianne, Politis ou Le Monde diplomatique soutiennent souvent ces critiques « républicaines » du fonctionnement de l’école. Ils associent la critique de la pédagogie à la dénonciation du règne du marché et de la concurrence. (...)
Si le fondement élitiste de ce type de discours n’est vraiment pas acceptable, il n’en demeure pas moins que certaines des critiques qui sont formulées sont assez justes, notamment quand elles dénoncent une remise en cause du rôle central des savoirs au sein de l’école. (...)
Un autre discours joue cependant lui aussi un rôle très négatif dans le fonctionnement de l’école et dans les débats sur le système éducatif. Ce discours est très largement hégémonique à tous les niveaux de la hiérarchie de l’éducation nationale. Il repose généralement sur des intentions généreuses : prendre en compte l’élève et ses difficultés, favoriser la réussite de tous les élèves, lutter contre les discriminations et prendre en compte la diversité culturelle, etc. Ces préoccupations généreuses conduisent à mettre en avant la nécessité d’enseignements moins « théoriques », préconisent la pédagogie inductive, insistent sur les compétences souvent opposées explicitement aux savoirs, met en évidence la socialisation et l’éducation souvent opposée à l’instruction, prône le dépassement des disciplines scolaires et la généralisation des démarches transversales et des « enseignements à » [4]. On explique aux enseignants qu’ils ne doivent plus se situer comme ceux qui savent, mais qu’ils doivent être dans une démarche d’accompagnement. A la limite, dans cette perspective, les disciplines scolaires, la transmission des savoirs et l’évaluation de la maîtrise des savoirs par les élèves sont perçues comme l’ennemi principal [5]. (...)
La présence de ces deux discours dans le paysage éducatif est doublement nuisible. D’une part, ils contribuent à imposer un faux débat. Il y aurait d’une part les « républicains » favorables aux savoirs et hostiles à la pédagogie, d’autre part les « pédagogues » hostiles aux savoirs et soucieux du seul épanouissement des élèves [8]. D’autre part, et c’est beaucoup plus grave, ils se renforcent l’un l’autre
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Dans tout cela on passe à côté de l’essentiel : comment assurer la démocratisation de l’accès au savoir ? Comment favoriser l’enrichissement croisé des recherches en éducation et des pratiques des enseignants ? Comment refonder la confiance dans l’école et dans le caractère émancipateur de l’accès au savoir ? Comment résister aux logiques ségrégatives et concurrentielles qui sapent progressivement le service public d’éducation ? (...)
Tout se passe comme si, en France, un quart de siècle plus tard, la formation initiale et continue des enseignants, se fondait sur cette même attitude qui consiste à ne pas poser les questions centrales : celles qui concernent les contenus d’enseignement. (...)
Dès lors, le choix qui s’offre à celles et ceux qui participent à la formation des enseignants est relativement simple : se soumettre aux vents mauvais ou résister. (...)
La transformation des IUFM en véritable « faculté d’éducation » au sein desquelles les aspects « disciplinaires » et les aspects « professionnels » de la formation des maîtres seraient rassemblées, au sein desquelles aussi les recherches sur la transmission des savoirs (et donc sur les savoirs eux-mêmes) seraient articulées aux recherches en psychologie cognitive, en sociologie et en philosophie de l’éducation, etc. Des facultés d’éducation qui seraient pour les enseignants en fonction un centre de ressource dans le domaine de la mise à jour des connaissances, des facultés d’éducation qui seraient articulées à un réseau d’établissements scolaires afin de concevoir et de piloter une véritable formation en alternance.
Mais un tel objectif est sans doute éloigné. Il faut pourtant agir ici et maintenant afin de faire évoluer la formation des enseignants si on ne veut pas la voir disparaître. (...)
Il faut pour cela aller à contre-courant de tous les bréviaires des idées reçues. Mais n’est-ce pas justement la nature de l’université que d’être « une maison où l’on pense librement » ?
(...) Wikio