
Début mai, l’Institut national des appellations d’origine (Inao) a engagé une procédure judiciaire contre Carrefour. L’enseigne usurperait des signes officiels de qualité pour faire du marketing.
Sur son stand du salon de l’agriculture en février dernier, l’enseigne de la grande distribution Carrefour présentait en grande pompe son nouveau label maison, intitulé « Origine et Qualité », qui allait remplacer « l’Engagement Qualité Carrefour ». Cette gamme de Carrefour concerne 87 produits (oeufs, fromage, viande...). Déjà au salon, l’initiative avait fait grand bruit. Plusieurs responsables d’appellations d’origine contrôlées de fromages (camembert, comté, pont l’évêque) avaient manifesté devant le stand de l’enseigne en signe de protestation. Ils dénonçaient la confusion avec les labels officiels, orchestrée par Carrefour. Sous ses labels, Carrefour entend vendre aussi bien des produits sous signes officiels que des produits qui ne le sont pas.
Carrefour confond qualité et marketing
Juste derrière l’enseigne américaine Wal-Mart, Carrefour peut s’enorgueillir d’être le deuxième groupe de la grande distribution au niveau mondial. De quoi rassurer les tenants de la préférence nationale qui aiment mieux voir le travail paysan volé par des Français que par d’autres. Alors quand Patrick Mercier, vice-président des producteurs de camembert de Normandie, accuse : « Vous confondez signes de qualité et marketing », on est tenté de le croire. Lui emboîtant le pas, l’Inao, organisme public chargé de la gestion des appellations contrôlées, a engagé une procédure judiciaire contre Carrefour pour usurpation.
Il est très risqué pour les producteurs de revendiquer face à une enseigne qui est aussi leur distributeur (...)
Alors que cet organisme est le plus souvent discret, il lance cette fois l’offensive face aux méthodes de la grande distribution, à l’unanimité de toutes les filières présentes au sein de l’Institut. Soulignons le caractère inédit de la fronde de l’Inao puisqu’il très risqué pour les producteurs de revendiquer face à une enseigne qui est aussi leur distributeur. C’est le cas du président de l’Inao, Jean-Charles Arnaud, qui produit du comté au Fort des Rousses et qui s’est battu pour avoir l’appellation. Carrefour est son premier client. Même si c’est à travers son rôle de président de l’Inao qu’il prend cette courageuse position, il prend le risque de voir l’enseigne réduire ou annuler ses commandes de fromage. En traduisant Carrefour devant les tribunaux, l’Inao veut mettre fin à une méthode de marketing mise en place depuis vingt ans (...)
Faux labels, vrais profits
Depuis quelques années aussi, l’Observatoire de la formation des prix et des marges produit un rapport qui retrace l’évolution des marges des fruits et légumes, des produits laitiers et des viandes. Dans ce document, on peut lire que la cerise bigarreau, dont la saison commence, est facturée cinq fois plus cher au consommateur qu’elle n’a été payée au producteur. La viande, que Carrefour veut labelliser non pas chez l’éleveur mais une fois sur les étals, voit aussi sa valeur ajoutée partir dans les poches des distributeurs : en 2000, 45 % du prix final revenait à l’éleveur contre moins de 39 % aujourd’hui. On comprend qu’en tamponnant d’un pseudo-label « Origine et Qualité » un morceau de viande standard acheté à bas prix, l’enseigne peut le vendre plus cher. (...)
Depuis vingt ans, ce ne sont donc pas les produits et les territoires que Carrefour met en valeur, mais les portefeuilles de ses actionnaires et les jetons de présence de ses dirigeants.