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Reporterre
Cancer du sein et pollution : « L’État se défausse de sa responsabilité »
Article mis en ligne le 18 octobre 2021
dernière modification le 17 octobre 2021

Les cancers du sein peuvent aussi être causés par notre environnement. Sous un prisme féministe, l’anthropologue Mounia El Kotni explique dans un entretien avec Reporterre le rôle qu’il joue dans l’apparition de cette maladie. Et comment l’État fait « reposer la responsabilité sur les individus ».

Chaque année en France, 12 000 femmes meurent d’un cancer du sein et 53 000 nouveaux cas sont détectés. Dans Im/Patiente, qui vient de paraître aux éditions First, les autrices Mounia El Kotni et Maëlle Sigonneau analysent cette maladie sous un prisme féministe et en la reliant à des causes environnementales. À partir du vécu de la coautrice Maëlle Sigonneau, patiente aujourd’hui décédée, elles portent un regard critique sur les violences oncologiques, les injonctions à masquer la maladie et à « conserver sa féminité », ou encore les causes environnementales. Mounia El Kotni, anthropologue spécialiste de la santé des femmes, revient sur ce dernier point. (...)

Mounia El Kotni — Avec Maëlle Sigonneau, nous avons cherché à décaler le regard sur le cancer du sein en partant de l’expérience des femmes. Le féminisme est un projet politique : il pousse à s’interroger au-delà des dépistages, des traitements, et à articuler ce vécu à d’autres questions, comme celle de la santé environnementale. Quand on travaille sur le cancer du sein, on remarque que les patientes sont privées de leur droit à s’interroger sur les causes de leur cancer. Celui-ci est encore souvent présenté comme étant « la faute à pas de chance », alors qu’il y a des causes : la génétique, le mode de vie, le fait de ne pas avoir fait ou eu accès à un dépistage à temps.

Toutefois quand on s’interroge sur les causes, en particulier dans le cas de formes plus rares comme le cancer du sein métastatique [à un stade avancé] chez des femmes jeunes, comme c’était le cas pour Maëlle, on ne peut pas éluder ce qui interagit directement avec notre corps : l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, les aliments que nous consommons… C’est pourquoi, dès le début, nous nous sommes penchées sur cette question de l’environnement. (...)

Lors d’un évènement de la Ville de Paris où le terme « environnemental » était employé pour parler des causes du cancer du sein, Maëlle s’était rendu compte qu’on ne lui parlait pas de la pollution atmosphérique ou de pesticides, mais de comportements individuels : le tabagisme, la mauvaise alimentation, le manque d’activité physique. Ces comportements sont bien entendu des facteurs de risque, mais ils sont complètement extraits des structures de pouvoir. Le tabac, par exemple, est une addiction très forte, portée par une industrie puissante qui pousse depuis des dizaines d’années pour que les personnes continuent à être addicts. Dire à quelqu’un « Vous avez un cancer parce que vous n’avez pas eu la volonté d’arrêter de fumer », c’est faire reposer la responsabilité uniquement sur les individus. Cela dépolitise complètement le cancer.

« L’État se défausse de sa responsabilité, il colmate les brèches. » (...)

On avance sur certains points, comme le rôle des pesticides ou des perturbateurs endocriniens dans l’apparition de cancers, et ce, grâce à la rencontre entre le monde de la recherche et des collectifs mobilisés. Je pense à la mobilisation pour faire reconnaître le rôle du chlordécone dans la très forte prévalence de cancers de la prostate aux Antilles. Sur le cancer du sein, les collectifs sont peu politisés par rapport aux États-Unis et sont souvent financés par des laboratoires pharmaceutiques. Cela leur permet de mettre en place des actions de sensibilisation, d’alerter sur les besoins. Mais quand on a un lien avec ces laboratoires, aussi ténu soit-il, cela empêche à mon avis de faire d’autres types d’actions, notamment sur la question environnementale. (...)