
Une inspection appuyée de l’Agence française anticorruption (Afa), au sein du CHU de Bordeaux, avait levé le lièvre en 2018. Ce service indépendant chargé d’auditer les dispositifs contre les atteintes à la probité s’était notamment penché sur le cas du professeur Dominique Breilh. Entre 2015 et 2018, cette pharmacienne cumulait la présidence de la Commission des produits de santé et innovations thérapeutiques (Copsit), cheffe du pôle « produits de santé » de la pharmacie à usage intérieur, dont elle était également gérante. Un acteur « stratégique » dans l’orientation de la commande de médicaments avait conclu l’Afa, même si le professeur n’achetait pas directement les médicaments.
Les enquêteurs ont découvert que la pharmacienne avait perçu en cinq ans 37 000 euros d’avantages de la part de MSD, important fournisseur du CHU. Elle avait en outre passé six conventions d’expertise avec ce même laboratoire et perçu 3 200 euros de rémunération. Une pratique archi-courante dans le monde de la santé souvent sollicité pour collaborer avec l’industrie pour des études ou des recherches. Rares sont les agents qui refusent par ailleurs les subventions des laboratoires pour défrayer des déplacements à des colloques assimilés à de la formation continue ou financer des recherches, même si nul n’imagine que cette générosité soit toujours dénuée d’arrière-pensées.
Parallèlement, la prévenue était vice-présidente d’une association de médecins, l’Association pour le développement et la recherche en pharmacie clinique (ADRPC, présidée par une proche) qui fonctionnait grâce aux dons des laboratoires, dont MSD. Après avoir été sollicité par la secrétaire de Dominique Breilh, le laboratoire avait notamment alloué 25 000 euros à l’association. Aucune demande d’autorisation d’activité accessoire ni déclaration d’intérêts n’avait été faite au CHU.
« Une pratique ancienne »
Pendant longtemps, ces associations permettant au personnel médical de bénéficier des subventions de l’industrie ont pullulé. (...)
« Aucun enrichissement personnel ni favoritisme n’a été retenu par le tribunal », précise l’avocat de la défense Me Lionel Bethune de Moro, pointant « une pratique ancienne » dont sa cliente avait « hérité » et à laquelle elle avait mis un terme à la suite de l’audit. De fait, pour emporter une condamnation, le délit de prise illégale d’intérêts ne nécessite pas un enrichissement personnel. Le simple fait pour un dépositaire d’une prérogative publique de s’être sciemment placé en situation de conflit d’intérêts peut suffire à déclencher des poursuites.
« Mélange des genres »
Le tribunal, présidé par le juge Denis Roucou, a retenu dans son délibéré un « mélange des genres » renforcé par « l’absence de déclaration d’intérêt alors que cette obligation existe depuis la loi du 13 juillet 1983 ».
En janvier 2020, une enquête menée par plusieurs titres de presse régionale à l’initiative de « Sud Ouest » avait pu tracer 170 millions d’euros issus de l’industrie pharmaceutique en direction des CHU français et de leurs médecins pour la seule année 2018. (...)
L’Afa déplorait notamment l’absence d’assiduité sur le recueil et de contrôle des demandes de cumul d’activité accessoires, pourtant indispensable à tout agent avant d’entamer une collaboration avec l’industrie.
Par ailleurs, seuls trois cadres sur 14 000 agents du CHU étaient soumis à une obligation de déclaration d’intérêts et de patrimoine. (...)
« À la date du contrôle, il n’existe pas de politique globale de prévention des conflits d’intérêts qui permettrait d’initier une prise de conscience par les acteurs exposés au risque de la commande publique », concluait l’Afa. De quoi expliquer, peut-être, que le tribunal n’ait pas prononcé d’inscription de la condamnation au casier judiciaire de la prévenue, l’autorisant ainsi à continuer à exercer dans le public.
La pharmacienne n’a pas fait appel de la décision.