
En marge de Rio de Janeiro, un village indigène résiste depuis des années aux expulsions et projets urbanistiques. À quelques jours de la présidentielle, l’inquiétude grandit face à la perspective d’une réélection de Jair Bolsonaro.
Retrouvailles, embrassades : tout se déroule sous l’œil de Luiz Inácio Lula da Silva, le charismatique leader de la gauche brésilienne. Une serviette de plage à son effigie fait office de bannière derrière les danseurs. Dans la foule, le cœur est à la fête, mais les esprits préoccupés, à quelques jours du second tour de l’élection présidentielle, le 30 octobre. (...)
Si les sondages donnent Lula vainqueur, l’écart avec le président sortant, Jair Bolsonaro, ouvertement hostile à la culture indigène, se resserre de jour en jour. « Si Bolsonaro est élu, il va continuer le génocide et la destruction de nos terres », lâche Urutau Guajajara, le cacique, ou chef de l’aldeia (nom donné aux villages indigènes). « Lula promet beaucoup, mais s’il remporte l’élection et qu’il ne nous expulse pas, ce sera déjà une grande amélioration pour nous », renchérit Mayra, une des habitantes, arborant au-dessus de ses tatouages ethniques un autocollant aux couleurs de la gauche.
Car ce bout de terre encerclé par le bitume est menacé. L’État de Rio de Janeiro, propriétaire du terrain, est gouverné par le parti de Bolsonaro, qui remet en cause l’existence du village. En 2019, le député bolsonariste Rodrigo Amorim qualifiait le lieu de « poubelle urbaine ». Aujourd’hui, la rumeur court d’un projet de construction d’un centre commercial. La proximité du stade Maracanã rend la zone attractive pour les promoteurs immobiliers. (...)
« La ville est arrivée autour de nous »
Pourtant, ce lieu qui avait accueilli le premier musée de l’Indien dans les années 1950 avait été laissé à l’abandon pendant trente ans. Ce n’est qu’en 2006 que des peuples indigènes issus de différentes ethnies se le sont approprié. « Ce n’est pas nous qui sommes arrivés au milieu de la ville, c’est la ville qui est arrivée autour de nous », nuance Potira Guajajara, une des habitantes, lassée de s’expliquer.
La présence indigène dans le quartier Maracanã préexistait à l’arrivée des colons européens. (...)
La grande majorité des 15 894 indigènes recensés en 2010 dans l’État de Rio évolue de fait au milieu des autres citadins. Seuls 2,8 % vivent dans des aldeias. (...)
Ce monde en marge de la ville déroute. En 2013, en prévision de la Coupe du monde de football au Brésil, les habitants ont été délogés, leur forêt rasée et bétonnée pour en faire un parking. (...)
Ce monde en marge de la ville déroute. En 2013, en prévision de la Coupe du monde de football au Brésil, les habitants ont été délogés, leur forêt rasée et bétonnée pour en faire un parking. (...)
Pendant les mois suivants, expulsions, occupations, emprisonnements et rassemblements se sont succédé. « Ça a été une période très violente », dit Leticia de Luna Freire. À peine trois ans plus tard, un autre événement sportif, les Jeux olympiques, est à nouveau prétexte à expulsions. Mais la lutte s’est poursuivie. En 2016, six familles se sont réinstallées pour de bon sur le terrain. (...)
« Un lieu sacré »
« On est revenus plus forts. On a commencé à replanter des arbres, des plantes médicinales. L’aldeia a une vocation écologique. Nous sommes des gardiens de la forêt », témoigne Urutau. Quelques jours avant le rituel de passage, déambulant entre les tentes et la maison de terre destinée aux cérémonies, puis dépassant le bloc sanitaire, Kajanã Tupinikins, le guérisseur, a allié le geste à la parole : « Vous voyez cet arbre ? Son écorce soulage les piqûres de moustiques. » Puis, évitant une des poules gambadant entre les flaques d’eau, il s’est rendu dans la cuisine collective pour nous montrer une grande marmite, mijotant sur le feu : « Une fois terminée, cette lotion à base de coton permettra de soigner les infections de l’œil. » (...)
Si l’écologie, au fondement des traditions, justifie l’acharnement des habitants pour ces quelques centaines de mètres carrés de terrain, elle est indissociable d’enjeux mémoriels et spirituels. (...)
L’aldeia a retrouvé son calme. Une liasse d’autocollants de campagne pro-Lula en main, Urutau nous raccompagne vers la sortie. Son soutien pour le candidat du parti des travailleurs est affirmé, mais l’homme à la chevelure blanche ne baissera pas sa garde : « Même si Lula est élu, on continuera à résister. Nos fils, nos petits-fils poursuivront la lutte. Parce que si on se rend, on est perdus. »