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Mediapart
Aux Comores, les sextapes d’un enseignant renvoient des jeunes femmes devant le tribunal
#agressions_sexuelles
Article mis en ligne le 1er novembre 2022

La diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos intimes réalisées par un enseignant de l’Alliance française a suscité une immense émotion. L’homme est visé par une enquête pour « agression sexuelle sur mineurs », tandis que les victimes sont poursuivies pour « outrage public à la pudeur et complicité dans la publication d’images à caractère pornographique ».

omboniFomboni (Comores).– « Traumatisée », c’est le ressenti d’Oumaïma* lorsqu’elle quitte la gendarmerie de Mohéli, fin juillet. Placée en garde à vue et soumise à un contrôle judiciaire, l’étudiante de 21 ans se retrouve malgré elle au cœur d’une affaire inédite aux Comores. En cause : la diffusion le 11 juillet de deux vidéos à caractère pornographique sur lesquelles figurent contre leur gré Oumaïma et Rachida*, 24 ans. Elles ont été réalisées par Pascal S., un enseignant contractuel français recruté le 1er mai 2021 par l’Alliance française de Fomboni, capitale de Mohéli, la plus petite île des Comores.

Sur ce territoire de 52 000 habitant·es – très majoritairement musulman et conservateur –, ces images suscitent encore l’indignation, quatre mois après leur diffusion. Elles ont aussi déclenché l’ouverture d’une procédure judiciaire : Oumaïma et Rachida* sont poursuivies pour « outrage public à la pudeur et complicité dans la publication d’images à caractère pornographique » dans le cadre d’une enquête pour « fornication et publication de vidéos pornographiques ». Également mis en cause, Pascal S. a quitté l’île plus d’une semaine avant la diffusion des vidéos.

Il est visé par une plainte des deux jeunes femmes aux Comores. Une plainte a également été déposée début août à Paris pour « atteinte à la vie privée », précise le parquet de Paris. Depuis cet été, Pascal S. est par ailleurs visé par une enquête préliminaire pour « agressions sexuelles sur mineurs », indique-t-on de même source. (...)

L’histoire entre Oumaïma et Pascal S. aurait commencé dans la bibliothèque de l’Alliance française de Fomboni. La jeune femme d’à peine 20 ans vient y emprunter un livre alors que l’enseignant fait ce jour-là office de bibliothécaire. Il en aurait profité pour récupérer ses coordonnées. Et la contacter. « Il m’a raconté ses problèmes sentimentaux et familiaux en insistant pour que je confie les miens », se souvient-elle. « Il m’a demandé de lui accorder une chance », affirme Oumaïma. Elle « finit par accepter ».

Mais, selon le récit de la jeune femme, la relation aurait pris un tournant violent à partir du 28 juin 2021. Oumaïma arrive « en retard » à cause d’une pénurie de carburant. « Son visage était rouge. Il avait l’air très énervé. Il m’a dit que je devais être punie pour mon retard », affirme-t-elle. L’homme aurait alors réclamé une fellation et filmé l’acte avec son téléphone. Oumaïma aurait ensuite été frappée à plusieurs reprises – elle se plaint de « gifles », de « coups de ceinture »…

Pendant plusieurs mois, Pascal S. aurait ensuite fait planer la menace de diffuser les vidéos. « Je me suis retrouvée dans une situation où je devais toujours continuer à lui écrire et faire semblant d’aimer ses pratiques, explique Oumaïma. Lorsque je ne lui répondais plus, il me rappelait l’existence des vidéos pour maintenir la pression. »

Le récit de Rachida évoque un procédé similaire. (...)

« Regardez-les, ce sont les filles du film porno »

Depuis, les deux femmes, assistées de leur avocat, Mohamed Nassur Said Ali, ont enduré un parcours du combattant judiciaire. L’enquête débute le 14 juillet. Quatre jours plus tard, la brigade judiciaire de la gendarmerie convoque les jeunes femmes. « Nous y sommes allés ensemble mais les avocats n’ont pas le droit d’assister aux auditions à la gendarmerie. Mes clientes ont été placées en garde à vue. Au cours de l’audition, certains officiers ont tenté de les intimider avec des paroles déplacées », affirme l’avocat.

Le lendemain, le juge place les deux jeunes femmes sous contrôle judiciaire et confisque leurs téléphones, se souvient Mohamed Nassur Said Ali. Durant deux semaines, Oumaïma et Rachida sont soumises à un pointage quotidien au palais de justice de Fomboni. Sur le chemin, elles sont obligées d’affronter les quolibets des enfants qui les interpellent : « Regardez-les, ce sont les filles du film porno », rapporte Oumaïma, le regard humide et les mains tremblantes.

Malgré la pression sociale et judiciaire qui pèse sur leurs épaules, les deux femmes décident d’emblée de contre-attaquer. Sur les conseils de leur avocat, elles déposent plainte le 14 juillet contre Pascal S. pour « publication d’images à caractère pornographique, chantage, harcèlement sexuel, agression sexuelle soumise à une prise d’images non consentie et attentat à la pudeur ».

Grâce à la procédure d’appel initiée par leur avocat, le contrôle judiciaire est levé et les téléphones restitués. Elles restent cependant poursuivies. (...)

Côté français, le sujet est particulièrement sensible. Sur place, l’ambassade de France aux Comores n’a pas souhaité répondre aux questions de Mediapart et renvoie à son communiqué publié au lendemain du partage des vidéos. Il invoque le « respect de la présomption d’innocence et de la vie privée » et renvoie vers la justice.

Mais il se conclut par ces mots : « L’ambassade de France est claire : pas d’impunité. »
Des élèves mineures s’étaient plaintes

L’attitude de l’Alliance française est pourtant au cœur des interrogations de plusieurs familles. Car Pascal S. avait fait l’objet d’une première alerte, plusieurs mois avant la diffusion des vidéos. Selon nos informations, une réunion a été organisée en présence de la direction locale de l’Alliance française et de trois élèves, âgées de 13 à 14 ans, accompagnées de leurs parents. Celles-ci affirment alors avoir été l’objet de « gestes déplacés » et « d’attouchements » qu’aurait commis Pascal S. (...)

À l’issue de la réunion, la décision aurait été prise de ne plus mettre Pascal S. « en contact avec les mineurs ». Selon une adolescente entendue par Service d’écoute et de protection des enfants, un organisme géré par l’Association comorienne pour le bien-être de la famille (Ascobef), cette mesure n’aurait pas été appliquée complètement. Pascal S. aurait surveillé un examen en mai dernier, selon Ania.

Contactée, la présidente du conseil d’administration de l’Alliance française de Fomboni, Anrifatte Mohadji – entretemps nommée consule de l’ambassade de France à Mohéli le 10 octobre –, n’a pas souhaité s’exprimer sur ce point.

Le ministère des affaires étrangères a indiqué avoir saisi le procureur de la République « dès qu[’il a été] été inform[é] des faits concernant cet employé de l’Alliance française ». Interrogé par Mediapart, le parquet de Paris a indiqué qu’à la suite de ce signalement, une enquête préliminaire avait été ouverte en août pour « agression sexuelle sur mineurs ».
Indignation et sentiment antifrançais

Face à l’indignation massive suscitée par l’affaire, l’Alliance française de Fomboni a fermé ses portes le 13 juillet sur ordre du gouverneur de l’île, Mohamed Saïd Fazul. Une mesure prise pour une semaine et saluée par la population.

Selon une source au sein du gouvernorat, le véritable objectif était « d’éviter que des citoyens ne s’en prennent à l’institution ». Une inquiétude justifiée par l’organisation d’une manifestation le 15 juillet « pour dire le mécontentement des Mohéliens », interdite par les pouvoirs publics de ce régime autoritaire. (...)

Du côté des autorités comoriennes, l’affaire provoque un certain malaise au regard des liens diplomatiques avec la France, premier partenaire de l’Union des Comores. (...)

Loin de la pression sociale, judiciaire et politique des Comores, la diaspora se mobilise en France pour soutenir celles qui ont témoigné contre Pascal S. À l’initiative de Zahra*, une activiste féministe indignée par l’affaire, un collectif informel se forme courant juillet : « J’ai ressenti une forme de mépris [envers un] Européen qui a la possibilité de partir à tout moment. »

Grâce à son réseau militant, elle constitue des pages de soutien sur les réseaux sociaux et rédige une pétition en ligne. À cela s’ajoute un autre appel en ligne qui a recueilli près de 600 signatures. « Cette affaire renvoie à l’image du colon. L’homme est favorisé en raison de sa situation financière et profite d’une position de pouvoir et de domination. Quant aux filles, elles subissent une double punition. Non seulement elles sont abusées, mais également rejetées », estime la militante.