
Après des mois de manifestations, la population poussée à bout par les pénuries a contraint le président à fuir en exil, puis à démissionner. Récit d’une folle semaine de soulèvement, qui laisse le Sri Lanka face à d’immenses défis politiques et économiques.
Sur la promenade maritime de Galle Face, le cœur de la contestation, les Srilankais se prennent dans les bras. « C’est incroyable ! Je viens ici tous les jours depuis mars pour attendre ce moment », s’enthousiasme Swastika Arugilam, 28 ans. Harinda Fonseka, 37 ans, monte sur une scène et s’adresse à la foule. « C’est nous, les citoyens srilankais, exerçant notre droit à manifester pacifiquement, qui avons chassé les Rajapaksa et son clan. C’est une victoire historique contre ce régime corrompu et ce n’est qu’un début ! »
Ce 14 juillet srilankais est l’aboutissement d’une lutte que certains manifestants comparent à la Révolution française. L’île de l’océan Indien fait face à la pire crise économique de son histoire. Le Sri Lanka, qui a dilapidé toutes ses réserves de devises étrangères et fait faillite, est incapable d’importer des biens de première nécessité. Sur place, la population manque de tout : pétrole dans les réservoirs, électricité au compteur, médicaments dans les hôpitaux et même nourriture dans les assiettes alors que l’inflation alimentaire explose.
Depuis avril, les Srilankais descendent en masse dans la rue. Petits travailleurs et cadres supérieurs, bouddhistes et Tamouls, jeunes et vieux réclament la démission de Gotabaya Rajapaksa. « Il a détourné et vidé les caisses du pays avec des investissements absurdes et un train de vie fastueux pour lui et sa famille », juge Surani Weerasinghe, entrepreneuse textile et mère de deux enfants.
En plus d’une gestion économique catastrophique, Gotabaya Rajapaksa est accusé d’avoir accaparé le pouvoir en distribuant des postes ministériels à ses proches. (...)
Rajapaksa avait toujours fermé la porte à une démission. Mais en une semaine, les Srilankais ont écrit l’histoire. Vendredi 9 juillet, des centaines de milliers de citoyen·nes ont convergé dans le centre de Colombo, malgré la catastrophique pénurie de carburant, à pied ou en train. La foule a brisé les barricades, enduré les gaz lacrymogènes et débordé les forces de sécurité pour envahir le palais présidentiel de Gotabaya Rajapaksa, qui a pris la fuite. (...)
Mais le 13 juillet à l’heure dite, le président ne démissionne pas : il remet ses pouvoirs au premier ministre, Ranil Wickremesinghe, jugé proche de son clan. Parmi les manifestant·es, l’espoir fait place à la colère et à la confusion. (...)
Entre rage et inquiétude, une foule converge vers les quartiers du premier ministre, qui instaure l’état d’urgence et fait appel à la police et à l’armée pour « rétablir l’ordre ». Vers 16 heures, le 13 juillet, les insurgé·es parviennent cependant à envahir sa résidence malgré les gaz lacrymogènes et les canons à eau. Après la prise du palais présidentiel, la colère franchit un cran. Dans le même temps, certain·es commencent à manifester devant le Parlement du Sri Lanka.
Mais longtemps unis, manifestants et manifestantes commencent de se diviser sur la stratégie à adopter. (...)
Vendredi 15 juillet, « le président de l’Assemblée nationale a officialisé la démission de Rajapaksa, le premier ministre Ranil Wickremesinghe devient donc automatiquement président par intérim, détaille Gehan Gunatilleke, expert en droit constitutionnel à Colombo. La loi prévoit désormais que le Parlement élise un nouveau président. » Le président de l’Assemblée nationale a donné pour ce faire sept jours aux députés du pays.
Parmi les favoris, Sajith Premadasa, président du parti d’opposition SJB, qui dispose d’une large assise au Parlement. (...)
Le pays, ruiné, devra aussi lancer des négociations avec le FMI pour soutenir sa population au bord de la crise humanitaire.
Sur la promenade maritime, l’heure n’est pas au triomphalisme. « Nous ne cesserons pas notre occupation », affirme Rifaz Mohamed, ex-ingénieur informatique qui s’occupe d’un des stands pour les manifestant·es. « Nous n’avons pas confiance dans le président de l’Assemblée nationale, ni même dans le futur président qui sera élu. La lutte sera finie lorsque le peuple aura voté et écrit une nouvelle Constitution. » (...)