
Les quartiers populaires restent l’angle mort de la mobilisation du 10 septembre. Une convergence des luttes souvent empêchée par la peur de la répression, des conditions matérielles suffocantes et une gauche peu soucieuse de « co-construire » avec ces habitants.
« Nous ne sommes pas des faire-valoir, des bouche-trous, des pots de fleurs », grince Almamy Kanouté, habitant du quartier des Groux à Fresnes (Val-de-Marne), militant au sein du comité Adama et de l’Assemblée des quartiers. L’activiste contre les injustices et les inégalités « veut bien tout bloquer » le 10 septembre mais pas que les habitants des quartiers populaires ne soient cantonnés au rôle de « bons suiveurs, bon soldats » pour « juste suivre la mêlée ».
La place des citoyen·nes de ces territoires reste l’un des angles morts de la mobilisation du 10 septembre, selon de nombreux acteurs interrogés par Mediapart. Cette journée de blocage, née en réponse au budget présenté par François Bayrou, bourgeonne pourtant dans de nombreuses villes populaires, portée par des assemblées générales dynamiques. Le 1er septembre, à Saint-Denis, des affichettes sommaires griffonnées au surligneur et signées « Bloquons tout » indiquent un point de rencontre vers le « pont de l’écluse ». Les passerelles du canal Saint-Denis se sont aussi parées de banderoles appelant à bloquer. (...)
Le cercle militant affiche une majorité de retraité·es, d’étudiant·es et de fonctionnaires, autour d’activistes autonomes ou anarchistes. Une foule de gauche traditionnelle, plus blanche que la population dionysienne qui fréquente d’ordinaire ce bout de verdure encastré face au Stade de France. Les riverain·es interrogé·es semblent au fait des blocages qui se préparent le 10 septembre, sans pour autant vouloir s’y joindre. Attablé à côté, Yassine, boulanger, ne fera pas grève mais dénonce les patrons « qui profitent ». (...)
Diangou Traoré n’a pas participé à cette AG, mais elle s’enquiert de la situation de plusieurs jeunes plus loin. La quadragénaire est une figure bien connue du quartier des Francs-Moisins, engagée depuis une dizaine d’années contre les violences policières et pour des logements dignes dans un bout de Saint-Denis balafré par la rénovation urbaine et les Jeux olympiques et paralympiques.
Engagée aux côté de La France insoumise (LFI) et co-créatrice de l’association Francs-Moisins citoyenne, elle se voit comme « un porte-voix », relaie tracts et affiches dans les boîtes aux lettres, devant les écoles ou au marché. (...)
« Les expulsions, la précarité, les violences policières, l’isolement institutionnalisé : ça laisse peu de place pour organiser des agoras. Les luttes existent, mais elles sont souvent silencieuses, fragmentées, défensives. »
Diangou Traoré distille, malgré tout, son optimisme pour l’après-10 septembre : « La masse va prendre et ils n’auront pas le choix de se coller à cette masse-là. » Elle compte sur les jeunes qui ont « leur propre réseau, leur propre stratégie d’organisation ». « On l’a vu au niveau des révoltes pour Nahel en 2023. La première chose que Darmanin a dit de couper c’est Snapchat, pas WhatsApp, pas Telegram. Parce qu’il sait que Snap, c’est dangereux. Et ça va très vite. » (...)
La candidate du Nouveau Front populaire (NFP) aux législatives 2024 constate des alliances « encore compliquées », même si la question de la répression policière a infusé dans le reste de la société depuis les gilets jaunes. « On est des observateurs, on voit comment ça se passe pour voir si on y prend part. Pour des personnes qui subissent des discriminations, des contrôles au faciès, et sont critiquées dans les médias toute l’année, on se dit : est-ce qu’ils ne nous remettront pas ça sur le dos ? »
« On ne va pas prendre le risque de descendre dans la rue, de subir la répression, parce que d’autres groupes ont décidé de bloquer le pays, tance Almamy Kanouté, l’activiste de Fresnes. On sait qui va manger en premier lieu. Il faut se préserver quand on est ceux qui subissent le plus au quotidien. » « Appeler les quartiers à se joindre à des actions à haut risque, sans garanties, sans protections collectives, sans stratégie claire, c’est irresponsable », acquiesce Jalalle Essalhi, le responsable associatif du Blanc-Mesnil.
« Pas sans nous »
« La mêlée générale doit se préparer en amont, glisse Almamy Kanouté. Ce n’est pas : “Allez, hop, on organise une mêlée, soyez avec nous.” Nous aussi on est concernés par ces enjeux, mais la moindre des choses, c’est d’échanger avec les organisations mobilisées depuis de nombreuses années sur le territoire, et ce n’est pas fait. » « Faire sans nous, c’est être contre nous, en réalité », pointe-t-il.
Almamy Kanouté dit n’avoir reçu aucun message ou invitation à rejoindre l’initiative, et n’avoir été sollicité pour aucune rencontre. Un impératif, selon lui, dans un mouvement aussi nébuleux que le 10 septembre. (...)
À Marseille (Bouches-du-Rhône), Amine Kessaci, habitant du quartier du Frais Vallon, « 21 ans, bientôt 22 », ex-candidat écologiste aux législatives 2024, affiche aussi son « horreur des gens qui font à [leur] place ». Depuis les quartiers nord, il évoque un 10 septembre qui « crée de l’émulation ». Le Marseillais dit avoir rencontré des mères sans emploi qui veulent aller manifester, décrit une jeunesse pleine de colère sur les questions sociales et de justice. (...)