
Bernard Pinaud, délégué général, était en mission de terrain au Guatemala et au Nicaragua pour évaluer l’avancée de projets soutenus par le CCFD-Terre Solidaire. Il nous livre son témoignage.
Accompagné de Walter Prysthon, chargé du suivi des projets du CCFD-Terre Solidaire en Amérique centrale, je retrouve le Nicaragua avec de nouveau Daniel Ortega à la tête du pays. On est très loin d’une deuxième phase de la révolution sandiniste : nos partenaires nous parlent des difficultés à s’exprimer librement, du contrôle social imposé par des sympathisants sandinistes, de répressions de mouvements sociaux comme celui des retraités, pourtant appuyés par des jeunes.
La politique du gouvernement est libérale et favorise les méga projets comme celui du creusement d’un canal entre les océans atlantique et pacifique pour faire concurrence à celui de Panama. Des dizaines de milliers d’habitants risquent l’expropriation.
Ma mission se concentre sur les activités de l’Union des coopératives à Nueva Guinea (300 kilomètres au sud-est de Managua, la capitale) appuyées par la Fédération nationale des coopératives de producteurs agricoles (FENACOOP), partenaire du CCFD-Terre Solidaire depuis 1999. (...)
C’est en prenant conscience de la pollution de leur eau par les pesticides et grâce à l’accompagnement de la FENACOOP que, peu à peu, les 172 producteurs de l’UCA se sont tournés vers l’agro-écologie et, donc un mode de culture plus raisonné, voire biologique pour certains produits.
Afin de dégager plus de marge de gains, certains de ces producteurs ont ajouté à leurs cultures traditionnelles (maïs, manioc, haricot) la culture du cacao. (...)
ces petits producteurs qui vivent, avec leur famille, dans des conditions extrêmement précaires vont voir leurs revenus augmentés dans les années à venir grâce au cacao…grâce à la coopérative et grâce à la FENACOOP !
Autre effet de ces innovations, des jeunes se lancent de nouveau dans la production agricole. Ainsi, la migration des jeunes de la région vers le Costa Rica voisin est en train de diminuer.
Ce dynamisme des producteurs fait ainsi de la UCA un interlocuteur respecté des autres producteurs de la région et une référence pour les autorités de Nueva Guinea. (...)
Dans les réunions avec les responsables des associations ou fédérations de coopératives accompagnées par notre partenaire SERJUS, je retrouve des représentants de Victoria 20 de Enero et de Primeravera de l’Ixcan. Leurs installations ont réussi, leurs coopératives sont très bien structurées et économiquement les plus efficaces du département. Quand ils prennent la parole, je reconnais l’élan de la résistance et le dynamisme des pionniers que j’avais entendu il y a vingt ans ! (...)
Grâce à la levée du secret défense sur quatre documents détaillant les opérations militaires d’alors, le CALDH a pu intenter un procès contre le général Rios Montt pour « génocide » contre la population Ixile.
L’ouverture de ce procès le 19 mars 2013 était un moment attendu depuis quinze ans par les organisations de droits humains. Rios Montt y était jugé pour le massacre de 1 771 indiens de l’ethnie maya des Ixiles dans le département du Quiché.
Contre toute attente, le tribunal a condamné le 10 mai l’ancien général Rios Montt à 80 ans de prison dont 50 pour génocide et 30 pour crimes contre l’humanité. Un verdict sans précédent pour une justice nationale. (...)
Lors de ce procès, des femmes violées par des militaires ont décidé de témoigner. Elles avaient demandé à ce que cela soit à huis clos, ce qui fut refusé par le tribunal. Ces « survivantes » (c’est le nom qu’elles se donnent) ont alors décidé de témoigner publiquement, le visage masqué par leurs tissus colorés d’indigènes, mais leur nom était connu. Pleines de courage, elles ont rapporté les viols collectifs, les ventres de femmes enceintes ouverts à l’arme blanche, les exécutions sommaires.
Mais, dix jours après l’annonce du verdict, la Cour constitutionnelle annulait la décision par 3 voix contre 2, non pas sur le contenu même mais sur la procédure, suspendant ainsi le jugement. (...)
Pendant tout le temps du procès, une recrudescence de menaces et d’assassinats de défenseurs de droits de l’homme a eu lieu, ainsi que contre l’Eglise guatémaltèque et des organisations catholiques étrangères comme le CCFD-Terre Solidaire accusées par la « Fondation contre le terrorisme » (constituée d’anciens militaires du temps de la guerre civile) de financer le « terrorisme ».
Ces accusations ne nous impressionnent pas et nous allons continuer à appuyer nos partenaires guatémaltèques qui luttent courageusement, au péril de leur vie, pour la promotion des droits humains, en particulier des femmes mayas !