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Au Liban, l’agroécologie pour survivre en temps de crise
Article mis en ligne le 22 août 2021
dernière modification le 21 août 2021

Pour faire face à l’explosion de la pauvreté et à l’inflation qui rend inabordables les importations, des agriculteurs et activistes développent une filière bio. Encore à une échelle très réduite et largement subventionnée par l’aide internationale, elle suscite néanmoins un intérêt grandissant.

Sur la terrasse d’une baraque aux murs de terre et de paille, Julia nettoie des semences de salades syriennes. « On les a récupérées à la banque nationale allemande de semences », dit-elle, concentrée sur sa tâche. « Elles font partie des nombreuses semences collectées à travers le monde. Grâce à ces graines, la ferme Buzurna Juzurna (« nos graines, nos racines » en arabe) travaille sur une grande diversité de plantes », ajoute-t-elle en montrant le jardin de la tête. Derrière la maison, poivrons, quinoa, maïs, fleurs ou encore pâtissons se côtoient dans une diversité harmonieuse.

« Tout est écologique, sans aucun produit chimique. Et on réutilise les semences d’une année à l’autre », assure Lucas, un Français qui travaille dans la ferme depuis plusieurs années. Situé dans la vallée fertile de la Bekaa, dans l’est du Liban, le projet Buzurna Juzurna a pris forme en 2016. Dix-huit Libanais, Syriens et Français, agriculteurs et activistes, ont alors formé un réseau informel pour encourager l’utilisation de semences locales. Ils ont créé leur ONG en 2018 : « On souhaite diffuser le savoir en matière de techniques agricoles durables pour favoriser l’autosuffisance », affirme Lucas. (...)

Au Liban, l’intérêt pour l’agriculture écologique a germé il y a une dizaine d’années, après le scandale de l’utilisation de pesticides hautement cancérigènes en 2009. (...)

Néanmoins, la prise de conscience est restée limitée, selon Lucas : « Quand nous avons commencé, en 2016, nos actions ne trouvaient pas d’écho. Mais, avec l’augmentation des prix à l’importation due à la crise, les gens se tournent de plus en plus vers Buzurna Juzurna. »

Depuis 2018, l’ONG a multiplié la vente de semences par cinq. (...)

Des importations rendues hors-de-prix par l’inflation

Au Liban, l’inflation est très forte depuis 2019. La perte de valeur de la livre libanaise a fait exploser les prix à l’importation. (...)

Or, l’économie libanaise se fonde sur les services bancaires et le tourisme : le pays produit peu et importe plus de 80 % de ses biens, qui doivent être payés aux prix du marché noir. Pesticides, semences… les produits importés destinés à l’agriculture sont devenus trop onéreux pour nombre de paysans comme Ali Ghazzwi. Originaire de Mansour, dans la Bekaa, il s’endette considérablement avec l’achat de pesticides depuis deux ans : « Je n’arrive plus à joindre les deux bouts », assure-t-il. (...)

Peu d’agriculteurs ont recours à la certification bio, jugée inefficace et surtout très onéreuse en ces temps de crise (...)

Mais les techniques écologiques, qui permettent de cultiver sans avoir à importer des produits chimiques, sont de plus en plus prisées par le monde agricole. (...)

Ce phénomène n’est pas cantonné au monde agricole. Avec les confinements successifs dus à la crise sanitaire et surtout à cause de la crise financière violente qui frappe le pays, une vague de « retour à la terre » semble traverser le Liban. Le phénomène est difficile à quantifier, mais certains éléments montrent l’ampleur de l’intérêt suscité par l’agriculture écologique chez les particuliers. (...)

Avec l’inflation de la monnaie libanaise, les prix à la consommation ont augmenté de plus de 150 % entre le printemps 2020 et le printemps 2021. Plus de la moitié de la population libanaise vit sous le seuil de pauvreté et le taux d’extrême pauvreté est passé de 8 % à 23 % entre 2019 et 2020. L’alimentaire est devenu une préoccupation majeure pour la population. Ziad Abi Chaker l’a bien compris en fondant l’entreprise Cedar environmental. L’ingénieur environnemental propose d’installer chez les particuliers des fermes verticales dont les bacs, créés à base de produits recyclés, sont destinés à la plantation de fruits et légumes écologiques.

La demande augmente, car les Libanais sont préoccupés par leur survie alimentaire (...)

L’entreprise a installé six fermes en un an : « Nous pouvons répondre aux besoins de l’ensemble de la population si nous installons ces bacs sur les toits des grandes villes. » (...)

Ce type de projets est principalement porté par des entreprises locales ou des ONG soutenues par des bailleurs de fonds internationaux. « Les autorités publiques se sont effondrées », dit Ziad Abi Chaker. « On ne peut compter que sur nous-mêmes. » Le budget consacré à l’agriculture est en effet dérisoire. (...)

Dans le village de Bkeftine, dans le nord du Liban, le centre Wahat al-Farah a développé une ferme agroécologique en 2019 (...)

La directrice du centre sillonne le jardin de 3 800 m² : « Du compost naturel, des herbes mortes pour faire fuir les nuisibles. Tout est pensé pour créer un écosystème sain, sans produit chimique », dit-elle, « rien n’aurait vu le jour sans l’aide internationale. » (...)

Depuis ses bureaux situés à Jeideh, dans la banlieue est de Beyrouth, Riad Fouad Saade, le président du Centre de recherches et d’études agricoles libanais, suit avec pessimisme l’évolution de l’agriculture au Liban. Pour lui, les projets écologiques nés les dernières années sont « bénéfiques », mais ils n’empêcheront pas l’agriculture de s’effondrer : « Cela reste cantonné au niveau artisanal. » Malgré les atouts de l’agriculture écologique en temps de crise, la transition reste limitée, car dans leur majorité, les agriculteurs ne connaissent que les méthodes « conventionnelles ». Les ONG misent donc aujourd’hui sur la formation.