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Artificialisés, accaparés, appauvris : les sols sont assaillis de tous côtés
Article mis en ligne le 3 janvier 2019

Les sols sont vivants, indispensables à la vie, et presque non renouvelables. Ils sont pourtant assaillis par l’étalement urbain et des pratiques agricoles désastreuses. Sans oublier l’intrusion croissante de sociétés foncières spéculatives. Un rapport parlementaire alerte sur cette situation et appelle à une grande loi foncière.

Les sols sont un bien commun irremplaçable et mal protégé. Tel est le constat fait par les députés de la mission d’information sur le foncier agricole. Ils ont rendu leur copie mardi 4 décembre 2018. Plusieurs mois de travail, plus de 40 auditions et les déplacements de terrain ont été condensés dans un rapport de 145 pages, présenté par les deux rapporteurs de la mission, la députée En Marche Anne-Laurence Petel et le socialiste Dominique Potier.

À l’origine de ce rapport, il existe un « fait déclencheur », nous explique-t-on en introduction : « Le rachat de 1.700 hectares de terres arables en 2016 dans le département de l’Indre par un consortium chinois ». Cela est-il le signe d’un risque d’accaparement des terres agricoles par des investisseurs étrangers ? D’une défaillance des outils actuels de protection du foncier agricole ? Ces questions ont lancé les députés vers un travail plus large de recensement des menaces pesant sur les sols.

Les sols connaissent « depuis plusieurs décennies des assauts sans précédent », constatent les élus. Or, la disparition des terres naturelles, agricoles et forestières au profit des aménagements humains a « des conséquences directes et irréversibles sur la biodiversité et le climat ». (...)

Le sol est d’autant plus fragile que son altération est quasiment irréversible. « Artificialisation, accaparement et appauvrissement sont les trois mots pour décrire ce qui détruit nos sols », résume le député Dominique Potier. (...)

ce sont les meilleures terres qui sont artificialisées en premier. Logique : les villes se sont construites à proximité des sols les plus productifs… Ainsi, « entre 2000 et 2006, les sols de très bonne qualité agronomique ont représenté plus d’un tiers des surfaces artificialisées au niveau national », observe le rapport. C’est donc là où la population croît que diminuent les terres susceptibles de la nourrir. (...)

« La prise de conscience existe mais les résultats des outils créés sont encore faibles » (...)

Le rapport constate poliment que les élus locaux sont plus préoccupés par les questions d’emploi et d’activité économique que par celle de la protection des terres agricoles et naturelles. Les faits qu’un terrain constructible vaille en moyenne 55 fois plus qu’un terrain agricole et la « proximité » entre certains élus locaux et leurs administrés propriétaires de parcelles jouent également. Quant aux diverses taxes censées décourager l’artificialisation, « elles ne constituent pas un obstacle majeur à la construction neuve dans les zones tendues », reconnaissent les rapporteurs.

Autre menace, l’appauvrissement. Les sols agricoles sont aussi menacés par les pratiques… agricoles. (...)

Enfin, une autre ombre plane sur les terres agricoles comme sur le futur de ceux qui les cultivent : « Le risque d’accaparement des terres agricoles par des sociétés extérieures au monde agricole ». C’est la deuxième partie du rapport, intitulée « Partager le foncier ». Elle nous décrit un monde agricole en profonde mutation allant dans le sens « d’une agriculture sans agriculteur ». « On assiste à une dissociation du travail, du capital, et de la décision », s’inquiète Dominique Potier.

Avec « l’agriculture de firme, l’accaparement est exponentiel mais n’est pas visible »
« Plus de la moitié de la surface agricole utile française est gérée par des formes sociétaires, souvent abstraites, derrière lesquelles il n’est pas toujours possible d’identifier des propriétaires physiques » (...)

Le sociologue François Purseigle, cité dans le rapport, voit là un « processus invisible de concentration et de réorganisation en profondeur de la production agricole : ainsi peut-on observer que deux à trois mille hectares relevant de six ou sept exploitations sont cultivés par un prestataire non agriculteur qui s’assure d’économies d’échelle ». C’est ce qu’il appelle « l’agriculture de firme. » « Cet accaparement est exponentiel mais n’est pas visible, ajoute Dominique Potier, car officiellement il y a des exploitants. Mais ils n’en ont que le nom. »

Des investisseurs extérieurs au monde agricole profitent de ces sociétés opaques. Des « terres céréalières et, depuis plusieurs années, plusieurs centaines de vignobles dans le Bordelais et récemment en Bourgogne sont devenus la propriété d’investisseurs », constate le document. Ces investisseurs peuvent être français, ou étrangers. Ces derniers représenteraient moins de 1 % des transactions, mais là encore le manque de transparence rend le phénomène difficile à quantifier.

Les rapporteurs aboutissent à des propositions communes. Ils insistent sur la nécessité d’outils précis et nationaux permettant de connaître l’usage et la qualité des sols et souhaitent notamment :

un recensement des friches agricoles ;
la transparence des opérations sur le marché des terres ;

  • couvrir intégralité du territoire avec des Scot et des PLU (tout de même plus efficaces que l’absence de documents d’urbanisme) ;
  • augmenter l’indice de densité des zones commerciales ;
  • limiter la construction de parkings aériens.

Pour l’agriculture, l’heure est grave (...)

Dominique Potier souhaite voir inscrites dans une grande loi foncière. Un texte qui, dans l’idéal, serait porté non pas par lui, modeste député socialiste, mais par le gouvernement. Que ce soit à l’Agriculture, à la Cohésion des territoires ou à la Transition écologique, rien n’est pour l’instant prévu sur ce thème. « On est au bord du gouffre, il faut dire stop », assure le député.