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Amazonie : un feu qui nous dévore...
Marilza de Melo Foucher Docteur en économie
Article mis en ligne le 2 septembre 2019

Je suis née au bord de la rivière Acre, dans un petite village appelé Boca do Acre. La forêt fait partie intégrante de ma vie : pleine de forces sacrées, de mythes qui ont alimenté mon imaginaire d’enfance. D’où mon combat éternel pour l’Amazonie, car je fais également partie des femmes guerrières !

(...) Ma forêt de coexistence, de symboles, de mythes, ma culture amazonienne, ne peuvent continuer à être attaquée et détruite sans scrupules. Et comme l’écrivain amazonien Marcio Souza avait l’habitude de dire : « la nature est notre culture où un arbre abattu est comme un mot censuré et une rivière polluée est comme un poème interdit".

Avec les nouvelles reçues du Brésil sur les incendies en Amazonie et les informations largement diffusées en Europe, j’ai senti mon corps brûler, une douleur profonde, je suis allée à mon bureau, mais je n’avais pas la force d’écrire un article pour la presse...

Pendant plusieurs jours, j’ai médité sur le rôle de ma génération dans la lutte contre la dictature et la défense de l’Amazonie, au Brésil et en France. Je me rappelais qu’il y a 40 ans, nous avions fondé le Comité International de Défense et de l’Amazone (CIDA) à Paris. L’agronome René Dumont en était le président d’honneur. Il était le précurseur de l’écologie politique et le premier candidat français à la Présidence de la République avec une vocation écologique. Le Comité International de Défense de l’Amazonie était composé de français, de personnes originaires de l’Amazonie et de Rio de Janeiro ; une grande partie faisait des doctorats sur l’Amazonie. Le CIDA est toujours enregistré comme association 1901. Les activités du Comité ont pris fin avec le retour de la plupart de ses membres au Brésil. Nous pensions avoir atteint nos objectifs, la cause de la défense amazonienne et la recherche d’alternatives à un autre développement avaient été adoptées - y compris Chico Mendes et d’autres amis de l’Acre, qui organisaient une résistance aux politiques dévastatrices. Chico est devenu un symbole mondial et a démontré qu’il n’était pas nécessaire de détruire la forêt pour profiter de ses richesses, d’où le projet de créer des réserves extractives. Mon ami Chico, dans certains de ses récits, a déclaré qu’il avait d’abord défendu les collecteurs de caoutchouc (seringueiros), puis il avait compris qu’il devait défendre la nature et avait finalement compris qu’il devait défendre l’humanité. (...)

Les Indiens vivant sur le territoire brésilien étaient considérés comme handicapés, conformément au Statut des Indiens de 1973. La reconnaissance par la Constitution fédérale de 1988 des organisations sociales des Indiens a été très lente dans la pratique et suscitait encore de la controverse. Cette reconnaissance signifiait également le droit des peuples autochtones de participer activement aux les décisions les concernant. (...)

En ce début du XXIe siècle, ce point de vue persiste et une partie de la société brésilienne considère les Indiens comme une catégorie ethnique et sociale transitoire, condamnée à disparaître et qui, outre qu’elle entrave le progrès, met en danger la sécurité des frontières !

La lutte pour la défense des droits de l’homme s’est poursuivie, le Brésil s’est démocratisé et la société civile s’est organisée. Les cris de protestation venus des frontières brésiliennes et l’Amazonie ont été étendus sur la scène internationale. La conférence ONU RIO-92 a représenté un engagement envers les causes que nous avons défendues. Ces conquêtes, les avancées de prise en compte de l’environnement et d’un autre développement ont sonné comme à une mission accomplie. Ma modeste participation au service d’une noble cause m’a rendue heureuse.

Des décennies de lutte pour un écodéveloppement. Que reste-t-il de nos conquêtes ?

Je ne pouvais jamais imaginer autant de revers socio-environnementaux et politiques au Brésil. (...)

Aujourd’hui, toutes les avancées dans la mise en œuvre de politiques publiques durement acquises au cours des décennies dans le domaine de la durabilité environnementale et du développement sont sapées par le gouvernement d’extrême droite actuelle. Le Brésil a réussi à créer une image reposant sur des actions efficaces et positives concernant l’exploitation de l’Amazonie. Cependant, Jair Bolsonaro a tout jeté.

Pour beaucoup de Brésiliens qui ont combattu les idées de l’extrême droite brésilienne, rien de ce qui vient du clan Bolsonaro n’est une surprise ! Ce qui étonne, c’est l’adhésion d’une une grande partie de la population brésilienne à leurs idées. Ce qui est étonnant, c’est la lente réaction des gouvernements européens qui, jusqu’à récemment, ne semblaient pas préoccupés par l’élection de Bolsonaro, à tel point qu’ils n’ont pas pris position lors de l’imbroglio judiciaire qui a conduit à la destitution du président Dilma, véritable attentat à la démocratie brésilienne. Les dirigeants du G7 ont peu réagi à l’arrestation précipitée de Lula qui l’a empêché de se présenter aux élections présidentielles. On sait aujourd’hui que Lula est un prisonnier politique (...)

Ce silence effrayant donnait l’impression que les vieilles démocraties préféraient finalement un candidat de l’extrême droite au socialiste humaniste.

Bolsonaro est l’allié du marché financier, arguant que le secteur privé devait se substituer à l’État. Pour les néolibéraux, il était un gage pour la réalisation des objectifs fondamentaux du grand capital. En outre, il a promis de mettre fin au système de partage « pré-sal ». Le régime de partage mis en place sous le gouvernement PT garantissait à l’État l’accès aux ressources en produits de pré-sel, ainsi qu’un contrôle accru de la richesse. (...)

On sait qu’avec le changement géopolitique du pétrole face à l’instabilité politique au Moyen-Orient, les grandes puissances se tournent vers l’Amérique du Sud, en particulier le Brésil.

Même face au succès de l’Accord de Paris, face à la crise environnementale planétaire, les intérêts économiques ont toujours pris le pas sur les questions d’environnement et de droits de l’homme. Jusqu’à récemment, le Club des pays riches - le G7 - a préféré ignorer l’appartenance de Bolsonaro aux idées du néo-nazisme et l’a considéré comme un homme politique normal et un homme politique fréquentable ! (...)

En fait, les traités de libre-échange sont la cause de toute la crise que nous traversons. Les clauses relatives aux droits de l’homme et à l’environnement sont rarement respectées.

À quoi s’attendre d’un président pyromane d’extrême droite ?

L’actuel président du Brésil, considéré aujourd’hui comme quelqu’un de déséquilibré par sa façon de se comporter et d’agir, a toujours dit qu’il démantèlerait la structure de fiscalisation et la législation environnementale au Brésil. Il a rapidement déclaré qu’il avait été élu pour détruire tout ce qui avait été fait, et cela en un temps record, étant donné qu’une grande partie de la politique publique avait déjà été démantelée par le président du coup d’État, Michel Temer.

Depuis le début de son règne, le capitaine et parachutiste Jair Bolsonaro a adopté une politique d’extrême droite, autoritaire et fasciste. (...)

Bolsonaro a accéléré la déforestation de l’Amazonie et dédaigne le réchauffement climatique.

Aujourd’hui, les gouvernements européens jusqu’ici silencieux ont décidé de réagir aux incendies en Amazonie et à la menace de destruction de leur biome. Le danger de destruction de l’environnement est réel et menace la planète. Lors de la réunion du G7 en France, les pays riches réunis à Biarritz réalisent tardivement que Bolsonaro n’est pas un interlocuteur fiable, qu’il est non démocratique et autoritaire. Aujourd’hui, sa position a suscité des critiques de la part des dirigeants du monde entier, nuisant au Brésil de nombreuses manières.

Au moins un élément positif est la cohérence de Bolsonaro, il n’a trompé personne, les brésiliens qui ont voté pour lui sont d’accord avec son anti-environnement, il a même envisagé la suppression du ministère de l’Environnement. Ceux qui ont voté pour lui étaient d’accord aussi avec son racisme, son homophobie, sa pensée fasciste. Ses déclarations déchaînées sur les minorités, son allergie aux causes environnementales ont continué de faire la une des journaux dans tous les médias.

Bolsonaro a toujours dit que s’il était élu, il mettrait fin aux réserves indigènes et quilombola, ce qui, selon lui, perturbait l’économie. (...)

Pour le gouvernement d’extrême droite, la question environnementale a toujours été un obstacle aux intérêts capitalistes du monde agraire brésilien et international, tant pour l’agrobusiness que pour l’exploitation minière. (...)

La préservation de l’environnement et l’écodéveloppement sont incompatibles avec le capitalisme néolibéral. D’où les ambiguïtés des gouvernements européens, des pays en charge de la gouvernance mondiale lors de la formulation des traités internationaux de libre-échange et des accords internationaux de protection de l’environnement. Le traité commercial Mercosur impose aux signataires de respecter les engagements climatiques pris à la COP21. L’accord impose également aux signataires de "lutter contre la déforestation". L’UE a accepté un quota d’importation annuel de 99 000 tonnes de viande de bœuf sud-américaine, le plus grand cheptel se trouvant au Brésil. Aujourd’hui, l’expansion de l’élevage en Amazonie est responsable du défrichage de la forêt et du feu ! Sans oublier le commerce illégal de bois et la production de soja.

Si les gouvernements des pays riches, les vieilles démocraties européennes ont réellement l’intention d’aider l’Amazonie à protéger ses écosystèmes, ils devraient exiger la condamnation de Bolsonaro et de ses ministres pour crime éco-humanitaire. (...)

Le gouvernement de Bolsonaro a homologué 239 pesticides depuis son rentré en fonction.

Dans ce contexte, la Commission européenne ne devrait pas signer l’accord Mercosur. En représailles, elle doit boycotter tous les produits issus de la déforestation : soja transgénique brésilien, bois et bétail. Le gouvernement Bolsonaro doit être étouffé économiquement et politiquement pour que le Brésil reprenne sa place dans le monde des grandes nations. (...)