« C’est un véritable scandale sanitaire. » Avec un débit rapide empreint d’émotion, Christelle Cebo raconte comment sa fille adorée, Pauline, est morte. À seulement 16 ans, l’adolescente a fait une overdose de codéine et de Tramadol, deux médicaments antidouleur appartenant à la famille des opioïdes, aussi connus sous le nom d’opiacés. La vie de cette famille de trois enfants se déroulait pourtant tranquillement à la campagne, dans un quartier pavillonnaire des Yvelines.
Entourée de deux parents ingénieurs aux salaires confortables, Pauline entre dans l’adolescence et les tourments qui vont souvent de pair avec cette période compliquée. Alors que sa relation avec son petit ami se dégrade, un camarade lui parle de la codéine, à l’époque en vente libre en pharmacie. Mal dans sa peau, la jeune fille teste le produit et se sent immédiatement mieux. Problème : le médicament est extrêmement addictif. S’enclenchent alors les mécanismes classiques de la dépendance, qu’elle raconte par écrit dans son journal intime.
Pour obtenir la détente émotionnelle souhaitée, Pauline a besoin de plus en plus de cachets. Elle se met à courir de pharmacie en pharmacie, où les professionnels de santé lui vendent le médicament sans broncher. Petit à petit, d’autres antidouleurs viennent s’ajouter à sa consommation. Un matin plus difficile que d’autres, l’adolescente se bourre de codéine et de Tramadol. Elle ne s’en remettra pas. (...)
Les prescriptions d’oxycodone représentent 34% des antalgiques
La découverte au XIXe siècle des opioïdes, alors utilisés sous forme de morphine, est pourtant très positive : les médecins peuvent enfin opérer les malades sans douleur, une véritable révolution thérapeutique. Longtemps, ces molécules seront réservées aux souffrances extrêmes, comme celles que peuvent par exemple provoquer les cancers. Mais, dans les années 1990 aux États-Unis, sous l’énorme pression des laboratoires pharmaceutiques (matraquage de publicités à destination du grand public, démarchage des médecins généralistes, etc.), la prescription des opioïdes s’élargit peu à peu aux douleurs du quotidien. Tramadol, codéine, fentanyl et surtout l’oxycodone sont alors prescrits à l’infini par les médecins généralistes pour traiter des rages de dents, des zonas, des maux de dos… Plongeant ainsi des milliers d’Américains dans la dépendance, et générant une véritable catastrophe sanitaire.
Outre-Atlantique, plus de 450.000 personnes sont aujourd’hui mortes, comme Pauline, d’une overdose d’opioïdes –des chiffres qui n’incluent pas ceux qui ont basculé dans les drogues dures. Un bébé américain naît toutes les vingt minutes accro aux antidouleurs, atteint du syndrome d’abstinence néonatal.
Une situation sans commune mesure avec ce qui se passe en France, où la législation empêche notamment de faire de la publicité pour les médicaments. Néanmoins, les autorités sanitaires observent une évolution similaire (...)
Depuis le 15 avril 2020, la prescription de Tramadol, l’opioïde le plus vendu en France, est restreinte à une durée maximum de trois mois au lieu d’un an. « Pour renouveler l’ordonnance, le patient devra revenir chez le médecin, cela permettra de réévaluer la douleur, [de voir] s’il n’en prend pas trop et risque de devenir dépendant », expliquait alors Nathalie Richard, directrice adjointe des médicaments antalgiques et des stupéfiants au sein de l’ANSM.
Sauf que les personnes dépendantes aux opioïdes, au lieu de courir de pharmacie en pharmacie pour obtenir la dose nécessaire, courent désormais de médecin en médecin. Le nomadisme pharmaceutique s’est transformé en nomadisme médical, un phénomène facilité par la téléconsultation (...)