Les femmes et hommes de ménage subissent des conditions de travail éprouvantes et un risque chimique important lié à l’utilisation des produits d’entretien, alerte l’Agence de sécurité sanitaire dans une étude approfondie.
Un cocktail toxique abîme les corps et menace la santé physique et mentale des salariés du nettoyage. C’est le constat d’une importante étude en forme de signal d’alarme, publiée le 13 novembre par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).
Ils connaissent un taux de maladies professionnelles deux fois plus élevé que la moyenne des salariés en France. Et ce notamment à cause des cadences infernales qui aggravent les effets d’un travail physique et causent de nombreux troubles musculosquelettiques.
Cumul des facteurs de risques
La spécificité de cette profession, essentielle autant qu’invisible, est le cumul des facteurs de risques, souligne l’Anses — qui plus est dans un contexte de forte précarité, avec des horaires souvent décalés et un fort isolement vis-à-vis des autres salariés.
S’y ajoute « un non-respect du Code du travail par un certain nombre d’entreprises du nettoyage (par exemple, en ce qui concerne l’application de la réglementation sur les heures supplémentaires et les heures complémentaires) », écrivent les experts.
L’Anses pointe le risque induit par l’utilisation quotidienne de détergents, décapants, détartrants, solvants, dégraissants, déboucheurs, biocides et autres désodorisants. La littérature scientifique prouve que ces mélanges sont la cause certaine d’au moins deux pathologies : l’asthme [1] et les maladies de peau.
De fortes présomptions existent également pour les atteintes aux bronches (BPCO) et les risques de cancers de la vessie, du poumon, les leucémies et les cancers de la tête et du cou. Des études exploratoires soulignent aussi la probabilité d’un risque sur les fœtus des femmes enceintes.
2294 substances chimiques différentes (...)
« Au quotidien, on remplit des petits récipients sans étiquette. Nous ne savons pas ce qu’il y a dedans, personne ne nous en informe », témoigne Rachel Kéké, ancienne femme de chambre à l’hôtel Ibis-Batignolles, devenue députée LFI de 2022 à 2024.
Sans compter que les documents d’information sont souvent inaccessibles aux agents, qui sont nombreux à ne pas maîtriser le français, la lecture ou l’utilisation des outils informatiques, ajoute Dominique Brunet.
De la sous-traitance à la maltraitance (...)
Comme les contrats sont régulièrement remis en concurrence, les entreprises s’enfoncent dans une course à la prestation la moins chère, en rognant sur les conditions de travail et en pressant leurs salariés à la productivité. (...)
Renforcer la responsabilité juridique des donneurs d’ordres
L’agence préconise donc de renforcer la responsabilité juridique des donneurs d’ordres, qui ont déjà une obligation de vigilance. Elle insiste sur la nécessité d’associer les agents, dans les entreprises, pour une véritable politique de prévention et préconise que les délégués du personnel des entreprises donneuses d’ordres et des sous-traitants travaillent ensemble à la prévention. Elle recommande encore de favoriser le travail en journée et d’instaurer un suivi individuel de l’état de santé des agents du nettoyage.
Ces professionnels pâtissent également d’une faible protection syndicale, élément crucial pour la prévention des risques. Les rares cas de mobilisations collectives ont contribué à rendre visible le risque de toxicité. (...)
Pour les femmes de chambre de l’hôtel Ibis-Batignolles, qui ont conduit une longue grève victorieuse de juillet 2019 à mai 2021, c’est la force du collectif qui, désormais, protège : « Nous refusons d’utiliser les produits les plus agressifs, et la direction n’insiste pas. Mais je sais que dans d’autres hôtels, où les filles sont isolées, elles n’ont pas la possibilité de refuser. Il y a de l’intimidation, du mépris au travail, elles ont peur de dénoncer les choses », dit Sylvie Kimissa, femme de chambre et déléguée syndicale, à Reporterre.
Capsules prédosées, eau claire et savon…
L’Anses préconise un certain nombre d’alternatives. « Il est possible d’utiliser des capsules de produits d’entretien prédosées, afin d’éviter le transport de bidons de produits, l’opération de dilution, une surconsommation ainsi que le contact direct avec ces derniers », souligne l’expertise.
Autre idée : laver à l’eau claire et au savon, avec peu ou pas de détergent et encore moins de biocides. « Les résultats de propreté visuelle et microbiologique sont identiques à ceux obtenus après un lavage avec un détergent », écrivent les experts. (...)
L’Anses estime à 1,2 million le nombre de salariés ayant pour tâche principale le nettoyage de locaux, soit près de 5 % de l’emploi salarié. Plus des deux tiers sont des femmes et 20 % sont des personnes immigrées. (...)