
Au début du mois, Acrimed a relayé la mobilisation de trois journalistes, Julien Bonnet, Sophie Eustache et Jessica Trochet qui, dans la foulée de la Nuit debout, ont créé un collectif, les « Journalistes debout ». Les préoccupations de ce collectif recoupent étroitement celles d’Acrimed, qui soutient également leur objectif final : établir un « Manifeste des journalistes debout ». Alors que commencent à affluer les témoignages et les doléances de leurs consœurs et confrères, illustrant les difficultés et les entraves multiples qu’ils subissent dans l’exercice de leur profession, nous avons souhaité rencontrer les animateurs de ce collectif. (Acrimed)
Acrimed : Est-ce que vous pouvez nous raconter en quelques mots comment est née votre initiative ?
Sophie : Notre initiative découle de discussions que nous avions avec nos collègues et nos amis journalistes depuis plusieurs années. Le devoir de productivité, la précarité, le manque de temps pour vérifier nos infos et le manque de moyens pour aller sur le terrain... toutes ces dérives, nous sommes nombreux à les dénoncer. D’où ce sentiment de malaise ressenti dans tous les métiers du journalisme et de l’information en général.
Julien : Nous sommes également sensibles aux critiques légitimes du public sur la dégradation de la qualité de l’info en France ces dernières années. Cependant, les consommateurs de médias ne connaissent pas forcément les coulisses de la production de l’information et les dérives du système médiatique. Ce sont donc parfois les journalistes sur le terrain, confrontés aux pressions et conditions précaires que nous dénonçons, qui sont contraints d’encaisser... et ce n’est clairement pas pour nous les bonnes cibles. C’est comme si pour vous attaquer au capitalisme, vous alliez cogner un serveur chez McDo, c’est à la fois inutile et injuste !
– Vous envisagez de publier un « Manifeste des journalistes debout ». Quel serait le but de ce manifeste ?
Julien : Notre volonté est aussi d’affirmer que l’information libre et indépendante n’est pas négociable, c’est un pré-requis à une démocratie saine et équilibrée. (...)
Le contrôle qu’opère aujourd’hui, et depuis bien trop longtemps, les puissances financières sur les médias est un obstacle évident à de véritables alternatives. Si on ne peut pas « changer le système », commençons par changer les médias ! C’est dans ce but que nous commençons notre projet de "manifeste des journalistes debout". Les médias libres doivent devenir la norme et non plus l’exception. (...)
le mouvement Nuit Debout avec l’idée de convergences des luttes et le film « Merci Patron ! » nous ont donné l’impulsion pour nous lancer dans ce projet. C’est surement là la force du film de François Ruffin, de nous responsabiliser en tant que citoyen et de nous faire prendre conscience que nous avons des moyens d’agir, à notre niveau. (...)
Les médias alternatifs et indépendants sont des grains de sable indispensables dans le système. L’existence de tels contre-pouvoirs médiatiques ne peut toutefois pas compenser ni nous excuser du laisser-faire de nos institutions face à la privatisation globale et la liquidation de la majorité des médias par leurs actionnaires. (...)
– Comment vous positionnez-vous par rapport au rôle traditionnel des syndicats de journalistes ?
Sophie : Nous sommes en contact avec eux, ce sont des interlocuteurs importants pour nous. Ils connaissent bien les problématiques que nous soulevons et travaillent là-dessus depuis des années.
Julien : Je pense que c’est également ce qui nous a rapproché du mouvement Nuit Debout : n’étant pas rattachés à un syndicat ou à un parti politique, nous voulons porter la voix de ces ouvriers de l’information dont nous faisons partie. Notre combat pour une information libre est une cause citoyenne qui dépasse la simple défense de la profession et de ses intérêts particuliers. (...)
À court terme, nous voulons organiser une journée de débats à Nuit Debout à Paris. Nous serons aussi présents aux 48h de la pige à Montpellier (29 et 30 juin). Et à plus long terme, nous souhaitons mobiliser nos consœurs et confrères pour imposer aux actionnaires et à l’État une refonte de l’industrie médiatique, et un modèle économique qui garantisse l’indépendance à la fois vis à vis de l’État et des intérêts privés des actionnaires. On n’invente rien. C’est ce que demandait le Conseil national de la Résistance à la libération : « Assurer la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances de l’argent et des influences étrangères. » (...)