
Hier soir je ramène les gamins du basket. Je dois déposer Malik et les autres à l’arrêt de bus. Mon gamin est reparti dans sa croisade anti-homos. Je lui précise à nouveau qu’on ne peut pas reprocher aux gens leur nature, c’est bien là notre seule limite. Malik me demande alors ce qu’est un "bougnoule". Je lui explique la sémantique, le Sénégal, les troupes coloniales. Malik est très surpris. Un incertain Kévin lui a dit un jour, à propos de son ballon de football : "Les bougnoules ont pas le droit de jouer avec mon ballon". Mais comme Malik ignorait le sens péjoratif de l’épithète, l’effet escompté s’est estompé. Malik s’en fout. Je suis un peu énervé.
Mais enfin, personne ne lui dit rien à ce Kévin ? Mais non papa, on s’en fout. Mais faut lui apprendre ! On n’a pas le droit de dire ce genre de trucs ! Mais papa, laisse tomber ! C’est un gros naze, il est toujours en joggings ! Et alors ? C’est pas une raison ! C’est pas parce qu’on est toujours en joggings que l’on a le droit de proférer des insultes racistes ! Je commence à engueuler les gamins, mon fils, Malik, Etienne et les autres. (...)
Je fulmine, sorte de condensation personnelle de "culminer dans la fumée", ou de "brûler de l’intérieur". Je tape sur mon volant comme un con, je klaxonne sans le faire exprès. Une manif à moi tout seul. Ton père est fou lui disent-ils....
Je leur demande d’enlever les écouteurs, il faut que je leur parle. Mais papa, ça fait dix minutes qu’on a compris ce que tu voulais nous dire !
– Et alors ?
– Mais papa, on s’en fiche complètement. Parce que Kévin, c’est un Gitan !
Ah merde. Je continue mon laïus moraliste dans le vide, genre "air guitar", juste pour moi, Santana. Il faudrait avoir prise sur ses enfants mais aussi sur l’époque. Je ne savais pas qui étrangler, et puis je conduisais.
– Django Reinhardt aussi c’était un Gitan !
– C’est qui ? (...)