Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Basta !
« A l’école, pour éduquer au numérique, il faut d’abord apprendre aux élèves à s’en passer »
Article mis en ligne le 14 octobre 2016
dernière modification le 5 octobre 2016

Les écrans et le numérique prennent de plus en plus de place dans l’enseignement et dans la vie des jeunes élèves. Faut-il en avoir peur, pour la qualité de l’apprentissage comme pour la santé, notamment chez les plus jeunes ? Tout dépend de l’utilisation qui en est faite, clament certains. D’autres appellent à une école sans écran, du moins au primaire et au collège. Karine Mauvilly, historienne et juriste, puis enseignante en collège, a observé la mutation en cours avant de démissionner de l’Éducation nationale. Elle est l’auteure, avec Philippe Bihouix, de l’essai : Le désastre de l’école numérique. Plaidoyer pour une école sans écrans, aux éditions du Seuil. Rencontre.

(...) Auparavant, vous pouviez faire votre travail sans ces écrans. Aujourd’hui, les salariés passent en moyenne 30% de leur temps à répondre à leurs mails. Le professeur, lui, utilise moins ses e-mails, mais se connecte tous les jours à des logiciels, fournis par des multinationales (lire notre article sur le sujet). Tous ces « gestes numériques » augmentent le temps de travail des professeurs. L’impact est aussi sanitaire : ils sont confrontés à des écrans et à des ondes wifi car le choix de l’Éducation nationale ne s’est pas porté sur du numérique filaire. Avec toutes les incertitudes qui planent autour des technologies sans fil. (...)

On a tendance à confondre la notion d’activité avec le fait qu’une image bouge et qu’un élève puisse cliquer dessus. L’activité, c’est ce qu’un élève va faire après avoir étudié un support, qu’il soit vidéo ou papier. Cela n’a rien à voir avec le défilement d’une vidéo. Si on regarde une vidéo, et qu’on propose ensuite à un élève de produire un schéma de ce qu’il a vu, ou d’écrire un texte, c’est cela qui va le rendre actif. La notion de pédagogie active est aujourd’hui capturée par le numérique. En réalité, on la retrouve chez Freinet, dès les années 1920, où l’enfant était amené à écrire après chaque ballade dans la nature, à faire une correspondance, à créer un journal de l’école. (...)

plus les élèves travaillent sur écran, moins ils sont performants en compréhension de l’écrit. En d’autres termes, plus ils regardent des écrans, moins ils comprennent ce qui est écrit dessus. Un résultat surprenant que l’OCDE, pourtant plutôt pro-numérique, a écrit noir sur blanc. D’ordinaire, nos gouvernants accordent beaucoup d’importance à ce « rapport PISA », en espérant grappiller des places dans le classement mondial… Quand ce résultat est sorti en 2015, il n’a pas été pris en compte à sa juste mesure : c’est cette même année que le plan numérique pour l’éducation a été véritablement lancé. (...)

quelque chose que l’on voit sur un écran ou que l’on fait avec un pad ou un stylet, ce n’est pas réel. Cela reste de l’imaginaire. C’est uniquement le cerveau qui travaille, pas la main. Or, on sait aujourd’hui que le rôle de la main et de l’expérience physique dans l’apprentissage est extrêmement important. Tout ce qui va être transféré sur l’écran va être une perte pour l’apprentissage.

L’utilisation du numérique peut-elle avoir des conséquences sur la santé des enfants et des adolescents ?

On détecte de plus en plus de cas de myopie, en Europe et en Asie, où les gens restent de plus en plus à l’intérieur. Le fait de fréquenter les écrans augmente ce temps passé à l’intérieur, donc le risque de troubles de la vue. Il y a également des effets irréversibles sur la rétine, chez les plus jeunes, à cause de la lumière bleue émise par les LED. Cette lumière bleue perturbe le rythme du sommeil et provoque des difficultés à l’endormissement, ou des réveils nocturnes. Avec moins de sommeil, le moral des jeunes peut en pâtir, tout comme leur concentration en classe.

Le moral peut aussi être impacté par les images vues sur Internet, par la comparaison avec la vie des autres sur les réseaux sociaux, (...)

Les impacts en termes écologiques sont majeurs. C’est un sujet oublié, mis de côté, car on a l’impression que le numérique est léger, dématérialisé. C’est d’ailleurs le principal argument : l’objectif est d’alléger les cartables pour le dos des enfants. En réalité le numérique repose sur des infrastructures lourdes : des millions de serveurs, d’antennes-relais, de câbles sous-marins. Et puis le numérique est extrêmement lié à l’industrie des matières premières, à l’extraction de métaux précieux. Une industrie très polluante, située en dehors de nos frontières, avec un coût social important pour ceux qui travaillent dans ces mines.

Troisième aspect, la fabrication des composants, qui provoque elle-aussi une forte pollution (...)

Enfin, quatrième aspect, la consommation électrique des outils connectés. Aujourd’hui on estime que le numérique consomme 10% de l’électricité mondiale (lire l’article de Basta ! sur cette étude), et est un émetteur de CO2 aussi important que le trafic aérien [2]. En terme de « légèreté », on fait mieux ! (lire notre article sur Basta !).

Le numérique est connu pour produire aussi beaucoup de déchets... (...)

pas avant 15 ans ! Jusqu’à cet âge, nous sommes favorables à une école sans écran, qui serait bénéfique pour les apprentissages. Au lycée, le numérique pourrait être une vraie matière, à part entière, où l’on apprendrait à coder, où l’on dépècerait un ordinateur, où l’on s’interrogerait sur la provenance des composants, leur utilité, etc. Mais il n’y aurait pas d’écrans avant le lycée. Nous pensons qu’il est primordial d’éduquer au numérique, à un moment donné, mais pas avec le numérique durant toute la scolarité. Et pour cela, il faut d’abord apprendre aux élèves à s’en passer.