
Une librairie du 11e arrondissement de la capitale héberge, la nuit, des familles de migrants, entre des étagères de livres.
Tout le mois d’août, les nuits se ressemblent dans la petite librairie du 38 de la rue Keller, dans le 11e arrondissement de Paris. Ça commence toujours par un coup de fil tardif au propriétaire, Michel Sitbon, qui répond « oui » à chaque fois. Ensuite, une voiture s’arrête et descend des migrants, naufragés de la nuit ; des enfants qui dorment debout ; des mères aux yeux noircis par la fatigue, des pères au bord des larmes, aussi. Puis, des matelas sont descendus de la mezzanine et installés serrés sur le sol entre les étagères de livres.
Michel Sitbon passe le mois d’août dans la capitale, avec l’idée de « ne pas laisser place aux mauvais coups de l’été ». Cet écrivain-éditeur se souvient de celui de 1996 : « Là, en plein cœur de l’été, l’église Saint-Bernard a été évacuée ». Cette année, il est allé faire un tour un soir du côté du centre humanitaire, porte de La Chapelle, et y a croisé une infinie détresse. « En voyant sur les trottoirs les familles sans toit ni lit, j’ai décidé d’en héberger », explique cet abonné des combats compliqués
Le libraire crie son indignation : « Y’en a marre des bébés à la rue !… Au premier bébé que j’ai accueilli, j’ai sauté de joie. Mais au vingtième, j’ai envie de hurler qu’on ne peut pas continuer ainsi ! » La Mairie de Paris propose un accueil pour les femmes ; elle a même mis en place un centre humanitaire spécifique pour les familles à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), mais il est en général saturé avant la fin de journée. (...)
« Pour moi, les sans-papiers, les migrants. C’est la même chose. Mon combat a commencé quand j’étais en classe de 4e et que j’ai fait un exposé sur le sujet un après-midi entier », rappelle ce drôle de militant, qui a animé des coordinations de sans-papiers, hébergé des Roms dans sa « bibliothèque » du 20e arrondissement, plaidé pour un accueil digne des étrangers dans les préfectures…
Michel Sitbon sait la force symbolique d’une remise de clé à celui qui traîne depuis des mois sur les routes. Alors, dans la nuit du quartier de la Bastille, ce comédien né aime surjouer ce moment. Prenant son pas-de-porte pour une scène, il joint la voix au geste et y va désormais, presque chaque soir, d’un très solennel « Welcome ».