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À Hong Kong, les derniers paysans se défendent contre la fièvre immobilière
Article mis en ligne le 18 juin 2019

Les terres agricoles de Ma Shi Po, l’un des derniers villages ruraux de l’ancienne colonie britannique redevenue chinoise, sont dans le viseur d’un promoteur immobilier. Les paysans résistent comme ils peuvent à la fièvre bâtisseuse qui a déjà recouvert de béton une grande partie de la « région administrative spéciale » de Hong Kong.

Il fait 36 °C. L’humidité est à peine supportable. Sous un soleil de plomb, les moustiques et les mouches des sables se sont donné rendez-vous pour le banquet de l’année. Au nord de Hong Kong, dans le village de Ma Shi Po, deux camps se regardent en chiens de faïence. Qui des 150 gardiens du promoteur immobilier Henderson ou des militants enfermés dans leur tour de palettes cédera en premier ? Tous les coups sont permis, y compris placer une barquette de viande au pied de la tour pour attirer les insectes. On ravitaille les six courageux avec des sacs de nourriture, de l’eau, mais également des batteries de portables pour pouvoir communiquer avec l’extérieur. (...)

Les deux camps se disputent un bout de terrain qui est un témoignage vivant de l’histoire de Hong Kong. La mégalopole s’est métamorphosée depuis l’instauration du régime communiste en 1949. À l’époque, une vague de migrants fuyant le continent déferle sur ce qui était alors une colonie britannique. La population n’a alors plus cessé de croître, passant de 750.000 habitants à plus de 7 millions en soixante ans. Il faut construire. On détruit les villages de pêcheurs, on agrandit les tours, on bâtit sur la mer, on pousse les murs jusqu’aux pieds des collines qui forment le paysage de Hong Kong. Chaque plaine constructible est utilisée. (...)

les derniers fermiers, bien décidés à ne pas abandonner les terres qu’ils ont valorisées pendant un demi-siècle, créent la communauté de Mapopo. Alors que les jeunes ont eu tendance à quitter le lieu, Chan Gar-sun a décidé, il y a quatre ans, de changer de vie. Destiné à une carrière de professeur, il a tout plaqué tout pour venir à Ma Shi Po. Un vieux du village lui a enseigné des rudiments d’agriculture et lui a légué un terrain. (...)

Au milieu des pois, des épinards, des patates douces et des rangées de plantes grimpantes, il explique : « En venant vivre ici, j’ai beaucoup appris, sur la société et sur moi-même. Aujourd’hui, je gagne entre 400 et 500 euros par mois. Je sais que certains pensent que c’est très peu, mais je vis simplement. » Et à contre-courant de la société consumériste du reste de la ville. Il n’est pas très optimiste, mais ce jeune homme timide le martèle, il faut mobiliser : « C’est dur d’être pédagogue et d’expliquer ce qui se passe, c’est peut-être loin des préoccupations quotidiennes des gens. Nous ne sommes pas avocats, c’est aussi dur de se battre légalement. » Pour épuiser les militants, le promoteur et le gouvernement ont tronçonné le budget en plusieurs projets afin de multiplier les recours nécessaires à la contestation. (...)

Il reste très peu de terres agricoles à Hong Kong, seulement 4 %. Et, à l’heure des scandales sanitaires venus de Chine continentale, le territoire ne produit que 2 % de la nourriture qu’il consomme. Kai Kai, une des responsables de la communauté de Mapopo, s’en alarme : « Il n’y a pas de volonté pour sauvegarder ces terres aujourd’hui à Hong Kong, plus de 80 % d’entre elles sont abandonnées, le gouvernement agit de manière totalement irresponsable. » Elle compare le promoteur immobilier à un cancer qui s’étend petit à petit à mesure qu’il arrive a racheter des parcelles. (...)

Tous les dimanches, des dizaines de visiteurs viennent découvrir le village. Ils peuvent apprendre à cuisiner des plats traditionnels, mais également acheter des produits bio sur le petit marché à l’entrée de Ma Shi Po. Carmen a amené ses filles de 4 et 6 ans. « Je veux qu’elles sachent qu’il y a ce type de problèmes à Hong Kong, que nous sommes en conflit avec le gouvernement. C’est aussi important de leur montrer qu’il y a encore des villageois dans les grandes villes. » (...)

10 % des habitations de Hong Kong sont vides, soit environ 300.000 logements. « Le vrai problème, c’est leur répartition, plus que le manque. » Kai Kai insiste sur le fait que les terres agricoles devraient être les dernières sur lesquelles on empiète pour construire. « Si on agit comme ça, on ne fait que repousser le problème, Hong Kong n’est pas extensible à l’infini, ont doit mettre un terme à cette folle expansion. » (...)

Sur un champ que vient de récupérer Henderson, des ouvriers s’affairent. Après 12 jours de résistance, les deux derniers militants réfugiés dans la tour en palettes se sont rendus, le 14 juin. Un peu plus loin, sur sa parcelle, madame Tan se repose assise à l’ombre, le yeux dans le vide. Les gardes d’Henderson ne sont qu’à quelques mètres. (...)