Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Rue 89
A Chypre, on a raté la solution « casseur/payeur ». Dommage
Benjamin Coriat co-président des Economistes Atterrés
Article mis en ligne le 28 mars 2013

Et de quatre. Après la Grèce, l’Irlande et le Portugal, voici Chypre mise sous perfusion du Fonds européen de stabilité financière et de la Troïka (Commission européenne, BCE et FMI). Cette nouvelle crise d’un pays de la zone euro mérite qu’on s’y attache et ce, pour plusieurs puissantes raisons.

D’abord parce qu’elle indique bien que, contrairement à ce que l’on nous assène, finalement rien n’est réglé. La crise chypriote vient le rappeler : la zone euro est toujours sujette à des fractures.

Ensuite parce que, si cette crise entretient certaines similitudes avec d’autres manifestations de la crise financière en Europe (la crise irlandaise notamment), elle possède ses propres spécificités. Chypre s’étant construite comme un véritable paradis fiscal, une lessiveuse de l’argent sale venu de Russie tout spécialement, la crise – comme sa résolution – ne pouvait qu’y revêtir des formes particulières.

Enfin parce que, et sans doute est-ce là l’essentiel, l’Union européenne et la Troïka se sont lancées à l’occasion de cette crise dans une série d’innovations : les premières fort malheureuses (et pour tout dire catastrophiques) consistant à rincer les petits déposants, les secondes plus intéressantes, mais désormais non assumées et vécues comme « honteuses ».

(...) le commencement, c’est l’explosion de la crise. Crise annoncée d’un système bancaire hypertrophié et miné par l’argent noir venu de Russie. (...)

Si l’on ajoute à cela que, attirées par les hauts taux d’intérêt servis par la Grèce, les banques chypriotes se sont nourries aux emprunts de la dette souveraine grecque, on comprendra que la restructuration de la dette grecque intervenue en 2012 a été spécialement meurtrière pour les banques chypriotes, qui y auraient laissé quelque 4,5 milliards d’euros de pertes.

Finalement, ce qui devait arriver arriva. Et explosa à Chypre une immense crise bancaire. (...)

La proposition qui émanera des négociateurs au matin du 18 mars est de se servir sur les épargnants en prélevant sur les comptes (tous les comptes, y compris ceux des banques qui n’ont pas de problèmes de paiement) de moins de 100 000 euros une taxe de 6,9%, et sur ceux de plus de 100 000 euros une taxe à peine supérieure, de 9,9%.

La bourde est sans limites. (...)

La Troïka aura beau dire, après avoir réalisé l’ampleur de sa bourde, qu’il s’agissait là d’une proposition du président chypriote à laquelle elle s’est ralliée, ou encore que les dépôts (notamment ceux des non-résidents russes) constituent l’essentiel des ressources de l’île, ou encore qu’il s’agit d’argent souvent sale, aucun argument n’est recevable.

Proposition chypriote ? Nul ne le saura jamais. Et, même si c’était le cas, la Troïka, qui comprend des représentants de l’UE et de la BCE, aurait dû dire « niet ». Cela est illégal en Europe. Et nous sommes là pour faire respecter la loi. Elle ne le fit pas. Manquant à ses devoirs les plus élémentaires et distillant du coup une méfiance justifiée sur sa capacité à tenir ses engagements. (...)

l’Islande, elle, a su résoudre ce problème.

En divisant son secteur bancaire en deux  : elle a protégé les épargnants locaux et spolié les déposants étrangers venus chercher de hautes rémunérations, et qui du coup ont dû subir des pertes après avoir enregistré de forts gains.

Bref la Troïka, en proposant ou endossant l’idée de piller les comptes des petits épargnants, s’est discréditée. Heureusement, elle fut tirée de ce mauvais pas. Le parlement chypriote en effet à l’unanimité rejette la proposition de la Troïka. Preuve une nouvelle fois, de l’importance des contrôles démocratiques.

Sans le Parlement, sans la mise en œuvre de la démocratie, les eurocrates nous auraient plongés dans un abîme de sottise. Créant des précédents qui menaçaient la confiance la plus élémentaire sur laquelle un système bancaire est bâti. (...)

Il fallut donc tout reprendre. Imaginer d’autres solutions.

Celles finalement adoptées sont d’une importance capitale. En effet, le plan du 25 mars est profondément original. Surtout, venant de la Troïka, il procède d’une philosophie nouvelle, très différente de celles qui ont présidé aux plans précédents.

 Première nouveauté : la crise chypriote est traitée comme une crise bancaire. C’est donc sur le système bancaire que les mesures vont se concentrer.

 Deuxième idée : en bonne logique, s’agissant d’une crise de paiements interbancaires, ce sont d’abord les actionnaires et les créanciers de la banque qui devront payer.

Ces propositions paraissent aller de soi. Et il y a beau temps qu’elles auraient dû s’appliquer. Mais ce sont précisément celles que l’EU et la Troïka se sont longtemps refusé à mettre en œuvre.

Quant à la solution aujourd’hui imposée à Chypre, si elle n’est sans doute pas la meilleure, au moins avait-elle l’avantage de contribuer à mettre en place une doctrine « casseur/payeur » qui, s’appliquant à la finance, était nouvelle. Elle était de surcroît susceptible de contribuer à réfréner l’avidité des financiers. Mais, après avoir fait quelques pas dans cette direction, la Troïka et la BCE ont vite fait machine arrière.

Ces volte-face sont terriblement inquiétantes. A l’heure où l’UE s’engage dans son Union bancaire, à l’heure où en France la loi Moscovici sur la « réforme bancaire » est sur le point d’être votée, cette pantalonnade en dit plus que de longs discours.

Pas plus l’UE avec sa loi que la France avec la sienne n’entendent s’engager et engager les banques dans les responsabilités qui devraient être les leurs. Avec la crise chypriote, les faits ont parlé. Ils valent bien plus que tous les discours. IIs sont explicites. Et ils sont très inquiétants.