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Le dernier ouvrage de Naomi Klein est un curieux objet littéraire. Son postulat de départ : depuis des années, l’essayiste est confondue sur les réseaux sociaux avec une presque homonyme, Naomi Wolf. Même âge, ou presque, même apparence. Féministe et conseillère d’Al Gore dans les années 90, ce doppelgänger a progressivement perdu son crédit médiatique pour devenir une égérie conspirationniste ralliée au trumpisme le plus radical. La confusion fait des dégâts. Mais Wolf n’est pas le vrai sujet du livre. C’est un moyen littéraire, le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles, que Klein suit pour observer « le monde miroir », celui de la droite radicale américaine, de Steve Bannon et des apprentis fascistes, « qui nous observe mais qu’on préfère ne pas regarder ». Alors que Donald Trump vient de remporter l’élection présidentielle en emportant tous les États clés, Le Double. Voyage dans le monde miroir pose un regard critique et sincère sur les erreurs stratégiques du camp démocrate.
Le dernier ouvrage de Naomi Klein est un curieux objet littéraire. Son postulat de départ : depuis des années, l’essayiste est confondue sur les réseaux sociaux avec une presque homonyme, Naomi Wolf. Même âge, ou presque, même apparence. Féministe et conseillère d’Al Gore dans les années 90, ce doppelgänger a progressivement perdu son crédit médiatique pour devenir une égérie conspirationniste ralliée au trumpisme le plus radical. La confusion fait des dégâts. Mais Wolf n’est pas le vrai sujet du livre. C’est un moyen littéraire, le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles, que Klein suit pour observer « le monde miroir », celui de la droite radicale américaine, de Steve Bannon et des apprentis fascistes, « qui nous observe mais qu’on préfère ne pas regarder ». Alors que Donald Trump vient de remporter l’élection présidentielle en emportant tous les États clés, Le Double. Voyage dans le monde miroir pose un regard critique et sincère sur les erreurs stratégiques du camp démocrate. (...)
« La gauche doit comprendre pourquoi elle parle un langage qui n’est plus en phase avec les travailleurs et les personnes en situation de précarité. Je pense que nous faisons désormais partie de l’élite, et cela devrait nous inquiéter au plus haut point. »
En 2016, j’ai écrit un livre sur Trump, No is Not Enough. Dans la conclusion, j’avançais qu’il fallait le regarder comme une œuvre de science-fiction dystopique. C’est un miroir tendu à la société, qui nous demande : est-ce que vous aimez ce que vous voyez ? C’est pour ça qu’il aurait fallu interpréter sa première élection comme un avertissement. Au lieu de cela, il est devenu un prétexte pour renforcer la polarisation, et les libéraux ont passé les huit dernières années à déverser sur la droite ce qu’ils ne supportaient plus de voir dans leur propre camp : « Ils ont toutes ces idées horribles, mais nous sommes purs, nous croyons en la science et la raison, nous sommes compatissants. »
« La gauche s’est réfugiée dans un cocon de récits flatteurs, mais elle n’a pas pris la mesure du projet civilisationnel de la droite radicale. Vous savez, Trump n’est pas seulement une figure de ce mouvement, c’est aussi et surtout une figure extrêmement américaine, au même titre que la tarte aux pommes de chez McDonald’s, les concours de beauté, les combats de catch, Hollywood et la publicité. Cela lui confère une étonnante capacité d’attraction. »
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« À certains égards, nous lui ressemblons de plus en plus. Regardez la campagne de Kamala Harris. Sur l’immigration, elle a passé son temps à répéter qu’elle était plus dure que lui. Elle a joué selon ses règles, adopté son discours, abandonné tout principe de solidarité, d’universalisme. C’est un renoncement collectif. Maintenant que Trump promet de mener une politique qui ressemble de plus en plus au fascisme, nous allons voir qui nous sommes vraiment. Je ne peux pas regarder mon double, l’autre Naomi, fréquenter Steve Bannon, voter Trump, se procurer une arme et avaliser les attaques contre les droits reproductifs en la réduisant à une altérité lointaine. Dans les prochains mois, j’ai peur que nous assistions à une grande opération de rationalisation dans laquelle certains vont s’accommoder de la politique de Trump, au nom du respect des électeurs de la classe ouvrière. »
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« Tant de choses auraient dû être dites dans cette campagne — sur les soins de santé, les augmentations de salaire, l’injustice économique, la domination des entreprises… —, et sont restées tues. Lorsque Bernie Sanders s’est présenté [Naomi Klein l’a activement soutenu, ndlr], qu’il a nommé la souffrance des gens et qu’il a proposé un plan pour y remédier, le Parti démocrate a déployé une énergie folle pour le salir et le saboter. Aujourd’hui, tout le monde parle comme lui pour analyser les résultats ! »
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« Nous assistons indéniablement à un tournant fasciste dans des pays autrefois démocratiques, en Inde, en Italie… Pour autant, ce n’est pas parce que Trump est un fasciste qu’il va réussir à introduire le fascisme aux États-Unis. Mais nous ne devrions pas avoir peur de le nommer en ces termes alors qu’il animalise ses adversaires et n’hésite pas à menacer les journalistes ou désigner des ennemis en pagaille. Il faut s’y opposer. Mais comment ? Le travail sur mon double m’a été d’une grande aide pour comprendre comment je veux naviguer dans ce monde : en me demandant constamment si mes valeurs ou mon éthique sont cohérentes et lisibles. »
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Quels sont les motifs d’espoir ?
« Nous allons devoir nous mobiliser davantage hors ligne, dans le monde réel, et retrouver des moyens de se trouver les uns les autres sans s’en remettre aux algorithmes de recommandation. Il va falloir se mettre au judo intellectuel, reprendre les armes qu’ils nous ont confisquées. C’est encore une raison pour porter des valeurs claires et un discours simple, même s’il peut sembler naïf : défendre l’humain, le vivant, la solidarité. Nous devons nous opposer à une machine qui transforme le monde en ruines et ne fait que broyer la vie, qu’il s’agisse de Gaza ou du climat. »
Le Double. Voyage dans le monde miroir, éd. Actes Sud, 496 p., 24,80 euros.