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Le projet de loi pour la reconstruction de Mayotte a été présenté en conseil des ministres, mercredi 8 janvier, un texte qui doit permettre la mise en œuvre "très rapide" de mesures pour l’archipel dévasté mi-décembre par le cyclone Chido.
Ce texte doit "faciliter l’hébergement et l’accompagnement de la population, ainsi que la reconstruction ou réparation des infrastructures et logements sinistrés", a déclaré le ministre des Outre-mer Manuel Valls durant le compte-rendu du conseil des ministres.
(...) Pour les mesures de plus long terme, notamment autour des questions d’immigration, de sécurité et de développement économique, le gouvernement prévoit un autre projet de "loi programme", qui sera élaboré dans les trois mois, indique Matignon. (...)
Pour mener à bien la reconstruction de Mayotte, le projet de loi prévoit la mise en place d’un "opérateur puissant dédié" à cette mission, sur le modèle de celui mis en place pour Notre-Dame de Paris. Le général Pascal Facon, commandant militaire de la zone Sud, sera nommé à la tête de cet opérateur qui absorbera l’établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte (EPFAM).
Les règles d’expropriation assouplies
Principale innovation, le texte présenté mercredi vise à déroger "pendant deux ans" aux règles d’urbanisme et des marchés publics, pour faciliter la reconstruction des écoles mais aussi des infrastructures et des logements touchés par la "plus grave crise de sécurité civile que le pays a connue depuis la Seconde Guerre mondiale", selon Manuel Valls.
Concernant les écoles, durement touchées alors que Mayotte est le département le plus jeune de France avec un habitant sur deux mineur, le projet prévoit que "l’État ou un de ses établissements publics" puisse assurer leur construction, reconstruction ou rénovation en lieu et place des collectivités locales jusqu’au 31 décembre 2027. (...)
Le texte contient aussi plusieurs mesures économiques qui resteront en vigueur "jusqu’au 31 mars 2025", comme la suspension du recouvrement des cotisations sociales des travailleurs indépendants, la prolongation des droits des assurés sociaux et des chômeurs ou l’augmentation de la prise en charge au titre du chômage partiel.
"Ce projet de loi d’urgence porte des mesures incontournables pour envisager la reconstruction, il doit donc être adopté par le Parlement puis promulgué dans les plus brefs délais", a insisté Manuel Valls durant sa présentation du texte. Son examen en commission des Affaires économiques est prévu dès lundi, date de reprise de l’activité à l’Assemblée nationale. (...)
Un texte qui "n’apporte aucune réponse aux vraies urgences de Mayotte"
Mais le ministre des Outre-mer a reconnu que le texte était "sans doute incomplet", espérant des amendements et évoquant notamment "d’autres mesures très urgentes" comme la lutte contre l’habitat illégal, qui ne figure pas dans le projet de loi, ou celle contre l’immigration irrégulière.
"Nous ne laisserons pas Mayotte redevenir une île bidonville", a-t-il martelé, en augmentant notamment "les moyens pour les forces de l’ordre". (...)
"Le texte est inacceptable parce qu’il n’apporte aucune réponse aux vraies urgences de Mayotte", a estimé l’ancien député et vice-président LR en charge des Outre-mer Mansour Kamardine, réclamant "une mesure qui inscrit l’interdiction des bidonvilles" dans l’archipel. (...)
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– (The Conversation)
Mayotte : les politiques d’exclusion ont-elles alourdi le bilan du cyclone ?
Habitations, bâtiments publics, réseau d’eau, hôpital, routes : rien n’a résisté au cyclone Chido sur l’île de Mayotte le 14 décembre. La chercheure Clémentine Lehuger analyse cette catastrophe comme l’accumulation de lourdes défaillances de l’État.
(...) La question du logement précaire, au cœur de la catastrophe
La question des logements précaires et de leur gestion par l’État français est au coeur du sujet. À Mayotte, plus d’un quart de la population vit dans des habitations précaires, principalement construites en tôle (appelés localement bangas). Or ces habitats, très peuplés, ont été « entièrement détruits » selon les autorités. Si certaines constructions en dur ont subi de forts dommages, il ne fait aucun doute que les populations des bidonvilles sont les premières victimes de Chido.
Les étrangers sont surreprésentés dans les bidonvilles (65 % de la population des bangas) mais les personnes en situation irrégulière, notamment comoriennes, ne sont pas les seules à y vivre. Des personnes étrangères bénéficiant d’une autorisation de séjour et des familles mahoraises pauvres qui n’ont pas accès à des logements décents y vivent également.
Opération Wuambushu : sécurisation ou précarisation ?
En 2022, 300 000 personnes vivaient à Mayotte dont la moitié étaient des étrangers. Une politique migratoire et sécuritaire de plus en plus répressive a été menée contre les migrants a accentué la précarisation de populations déjà marginalisées. Ainsi, les opérations de « décasages » (destruction des cases) ont poussé les plus pauvres à reconstruire des bidonvilles plus éloignés des centres urbains, sur des terrains toujours plus dangereux, avec des risques accrus. (...) Du 2 au 11 décembre 2024, quelques semaines avant l’arrivée du cyclone, une nouvelle opération de destruction d’habitations précaires menée par l’État visait à démanteler le bidonville de Mavadzani, à Koungou. La plupart des habitants sont demeurés sans solution de relogement et beaucoup sont allés grossir les rangs d’autres quartiers précaires. (...)
Aujourd’hui, on peut faire l’hypothèse que la politique de lutte contre les clandestins a contribué à fragiliser une partie de la population en l’excluant des dispositifs de mise à l’abri prévus avant le passage de Chido. En effet, si le déclenchement de l’alerte cyclonique s’est accompagné d’une mise à disposition de lieux sûrs, la crainte d’une arrestation et d’une reconduite à la frontière a probablement dissuadé les migrants sans titres de séjour d’accéder à ces centres. Les autorités locales ont recensé 10 000 personnes réfugiées dans les hébergements d’urgence mais on peut se demander où sont passées les 90 000 personnes qui vivaient dans des bidonvilles désormais réduits à néant ?
Exclusion des migrants de l’accès aux services publics
Mes recherches en cours sur la gestion du Covid et la crise de l’eau à Mayotte avaient déjà permis de relever ces mécanismes d’exclusion des précaires des dispositifs d’urgence. Plusieurs acteurs associatifs et membres de services sanitaires avaient alors fait part de leurs difficultés à mettre en oeuvre une gestion de crise sur un territoire où une grande partie de la population craignait les autorités publiques.
L’idée selon laquelle les populations les plus précaires seraient injustement favorisées par l’État durant les crises est tenace à Mayotte : elle suscite des tensions croissantes au sein de la société mahoraise. Ces dernières années, la montée des discours anti-migrants, notamment politiques, a été spectaculaire, tout comme la progression du Rassemblement national. Marine Le Pen a recueilli 42,68 % des suffrages en 2022 alors qu’elle ne recueillait que 2,77 % en 2012. Cette évolution est à mettre en perspective avec les difficultés d’accès aux services publics qui alimentent les discours stigmatisants envers l’immigration.
En 2023, la crise de l’eau (avec un arrêt de la distribution d’eau potable pendant plusieurs jours consécutifs) avait réactivé ces tensions. Lors de mon enquête, les acteurs associatifs et les autorités sanitaires m’avaient rapporté une polémique autour de l’installation des rampes d’eau qui illustre bien la problématique de l’exclusion des populations immigrées des services publics. (...)
Aujourd’hui, dans l’hexagone, des voix s’élèvent sur les réseaux sociaux et dans les médias pour pointer du doigt les migrants à Mayotte, comme si les migrants étaient, au fond, responsables du drame dont ils sont les premières victimes. (...)
Cette instrumentalisation occulte les problèmes posés par des années de politiques publiques défaillantes, et en premier lieu, par les opérations de délogement qui ont fragilisé les populations les plus vulnérables.