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Mediapart
À Mayotte, les morts de Chido sont tombés aux oubliettes
#Mayotte #cyclone #reconstruction #migrants #immigration #sanspapiers
Article mis en ligne le 6 février 2025
dernière modification le 5 février 2025

Officiellement, le cyclone Chido a fait 39 victimes, mais ce bilan semble largement sous-estimé. Le refus des autorités de dévoiler le nom des victimes et de procéder à un recensement solide des disparus interroge : l’État a-t-il quelque chose à cacher ?

(...) Faizi a été retrouvé sans vie par des voisins alors que la tempête faisait rage. Il avait 28 ans. Malgré le danger, les tôles et les poutres qui volaient à des vitesses folles, les arbres qui tombaient comme dans un jeu de mikado, quelques courageux ont quitté leur abri, l’ont recouvert d’un drap et l’ont transporté à l’hôpital de Mamoudzou, où il n’y avait plus ni lumière ni espoir. « Son corps a été coupé en deux par une tôle », explique Saidati. (...)

Le 25 décembre, Faizi a été inhumé au cimetière de Mahabourini, un autre quartier (en dur celui-là) de Kawéni. Depuis, plus rien. Personne n’a appelé Saidati. Ni l’hôpital, ni la mairie, ni la préfecture. Elle n’a pas reçu d’aide non plus. Elle vit aujourd’hui chez sa mère, à Bandrajou toujours, parce qu’elle a besoin d’être soutenue, mais aussi parce qu’elle n’a plus personne pour reconstruire sa maison.
La mort des « invisibles »

Comme Faizi avant qu’il ne perde la vie, et comme la grande majorité de ses voisin·es, Saidati fait partie de ces « invisibles », ces « clandestins », comme on les appelle à Mayotte, sans papiers français, sans existence officielle... Ils vivent là pourtant. Elle depuis presque toujours (...)

Faizi Ali fait-il partie des 39 morts officiellement recensés par les autorités ? Est-il de ces hommes et de ces femmes, peut-être de ces enfants aussi, à qui la France a rendu hommage le 23 décembre, jour de deuil national décrété par Emmanuel Macron ? Saidati l’ignore. Et elle n’est pas la seule. Personne, aujourd’hui, ne connaît le nom des victimes de Chido, et encore moins leur visage. Ils ne sont pas affichés dans la presse en guise de dernier adieu, ou à l’entrée des dispensaires ou des mairies en guise d’information. Ils ne sont même pas divulgués.

Le sénateur Saïd Omar Oili, qui se bat pour qu’une commission d’enquête parlementaire fasse la lumière sur les morts de Chido, et plus largement sur les défaillances de l’État avant, pendant et après la tempête, a demandé la liste des personnes tuées par le cyclone au ministère de l’intérieur. Mais celui-ci refuse de la lui fournir. Mediapart l’a également demandée au ministère de l’intérieur et à la préfecture de Mayotte – sans succès (lire la boîte noire). Quant aux sources judiciaires et hospitalières, elles restent muettes. « Ordre a été passé de ne donner aucune information », indique un cadre du centre hospitalier de Mamoudzou (CHM).

Ce silence interroge. « Pourquoi une telle omerta ? », interpelle Oili, qui a récemment décidé de quitter le groupe macroniste (RDPI) au Sénat, en raison de son opposition à l’ouverture d’une commission d’enquête (...)

la plupart des victimes vivaient dans ces bidonvilles que les autorités et une partie des élus locaux rêvent de voir disparaître, et avec eux leurs habitant·es. « Ces gens ne comptaient pas quand ils étaient en vie, ils comptent encore moins une fois morts », déplore une travailleuse sociale qui œuvre depuis plusieurs années dans ces quartiers, et qui, soumise au devoir de réserve par son employeur, a requis l’anonymat. (...)

« Si l’État ne donne pas de noms, c’est peut-être parce qu’il ne les a pas tous », souffle un haut fonctionnaire ayant lui aussi requis l’anonymat. Dans l’urgence, tout n’a peut-être pas été fait pour recenser les morts, pour les identifier – ni même, d’ailleurs, pour essayer de sauver les survivant·es qui pouvaient l’être. (...)

« Dans leur malheur, les gens ont eu la vie sauve grâce à la fragilité de leurs habitats, constate un médecin qui a lui aussi requis l’anonymat. Ces tôles ont fait beaucoup de blessés, mais peu de morts. »

Cependant, on est très certainement au-delà des 39 victimes annoncées par les autorités. « Tout le monde sait que le bilan est plus important, c’est l’éléphant au milieu de la pièce », a déclaré sur France Info la députée Dominique Voynet. L’ancienne directrice de l’agence régionale de santé à Mayotte a proposé, le 10 janvier, un amendement à la loi d’urgence pour Mayotte visant à demander au gouvernement de présenter « un bilan exhaustif de la catastrophe dans un délai d’un mois ».

Sur l’île, personne ne donne crédit à ce chiffre jugé « invraisemblable » et même « insultant » (...)

Au silence des autorités s’ajoutent la réserve des habitant·es et le mutisme des responsables religieux, et notamment des imams qui ont présidé aux prières funéraires. Comme si le tabou de la mort avait été rendu plus profond encore par cette catastrophe.

L’embarras de l’inconnu (...)

Les sources les mieux informées tablent sur une fourchette allant de 100 à 200 morts, tout en admettant que cela relève de l’estimation au doigt mouillé. (...)

« Imagine-t-on qu’après une catastrophe similaire en “métropole”, l’État soit incapable de compter les morts ? C’est impensable ! »