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Après un mouvement social massif il y a un an pour des augmentations de salaires, et après la révolte de l’été 2024 qui a conduit au départ de la Première ministre en place, l’industrie textile du Bangladesh sort difficilement de la crise. Quant aux ouvriers et aux ouvrières du secteur, ils ne voient pas leur condition s’améliorer et restent vulnérables à la répression, avec le silence complice des donneurs d’ordre occidentaux.
Les usines textiles du Bangladesh font rarement la une des médias... sauf lorsqu’il y survient un accident mortel comme celui du Rana Plaza en avril 2013. Pourtant, le pays continue à approvisionner massivement en vêtements bon marché les enseignes de prêt-à-porter et les supermarchés européens et nord-américains.
Aujourd’hui, le secteur textile bangladais est en crise. Selon les chiffres officiels, au moins 76 usines ont fermé leurs portes ces derniers mois, entraînant le licenciement de plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers, majoritairement des jeunes femmes. Cette mauvaise passe s’explique par des facteurs économiques, comme la dépréciation du taka, la monnaie nationale, face au dollar, et la hausse du prix des matières premières. Les patrons d’ateliers textiles accusent aussi les grandes marques qui achètent leur production d’avoir poussé les prix à la baisse, de 5% pour celles basées dans l’Union européenne, et de 8% pour celles des États-Unis. Ces mêmes donneurs d’ordre auraient redirigé une partie de leurs commandes vers d’autres pays comme l’Inde, le Vietnam et le Cambodge.
Une année de manifestations
Durant l’été 2024, les employés du secteur du vêtement ont souvent été en première ligne, avec les étudiants, des manifestations qui ont mené à la chute de la Première ministre Sheikh Hasina. Des usines appartenant à des patrons réputés proches du régime ont été ciblées et endommagées, et certains de ces hommes d’affaires ont passé du temps en prison. Quand bien même les établissements concernés ont fini par rouvrir leurs portes, ils n’ont pas forcément réembauché tous leurs anciens employés, et – à en croire certains témoignages – en auraient profité pour imposer des conditions pires qu’avant. L’instabilité politique a ralenti les commandes des acheteurs occidentaux et les a sans doute incités à aller voir ailleurs. (...)
Plusieurs semaines de manifestations massives et de répression avaient entraîné le décès d’au moins trois ouvriers du fait des violences policières, l’emprisonnement de plusieurs dizaines d’entre eux et des licenciements par dizaines de milliers. Au final, les travailleurs du textile étaient retournés au travail en n’ayant obtenu qu’une augmentation modeste par rapport à leurs revendications (...)
Au pouvoir pendant deux décennies, Sheikh Hasina s’était résolument rangée du côté des patrons d’usines et avait supervisé la répression des manifestants. Ce qui explique que les ouvriers aient rejoint en masse quelques mois plus tard le mouvement initié par les étudiants. Depuis, le travail a repris dans les usines, et une nouvelle augmentation salariale de 9% a été décidée sous l’égide du gouvernement provisoire dirigé par Mohammed Yunus, pionnier du microcrédit et prix Nobel de la paix. Mais, à en croire les témoignages de certains ouvriers, ces dispositions ne sont pas forcément bien appliquées sur le terrain.
Répression et intimidation
Les grandes marques qui s’approvisionnement au Bangladesh n’ont pas fait le moindre geste pour soutenir le mouvement des ouvriers et ouvrières textiles et encore moins pour s’opposer à la répression dont ils ont fait l’objet. (...)
Les ONG qui soutiennent leur cause, regroupées en Europe au sein de la Clean Clothes Campaign, ont donc décidé de les interpeller directement pour qu’ils fassent pression auprès de leurs fournisseurs engagés dans la répression, notamment ceux qui ont déposé plainte contre leurs ouvriers suite aux violences.
H&M, Zara, Lee, Primark ou C&A sont dans le viseur, de même que des enseignes françaises comme Carrefour, Kiabi ou Decathlon. (...)
Plusieurs milliers d’ouvriers et ouvrières restent sous la menace, d’autant que la plupart des plaintes sont non nominatives, permettant ainsi à la police de cibler n’importe qui et d’intimider le mouvement syndical dans son ensemble. Et même une fois la menace de la répression levée, il restera aussi à trouver un modèle viable pour le secteur textile bangladais, assurant un salaire digne à ses ouvriers.