Le président de la République s’est exprimé pendant plus de deux heures, mardi 16 janvier au soir, déroulant un discours droitier et sépia. École, climat, travail, #MeToo, immigration, guerre au Proche-Orient... Ce qu’il faut retenir de sa conférence de presse.
Après un propos liminaire fleurant l’ordre et l’ancien, le chef de l’État a répondu pendant deux heures aux questions des journalistes. Il s’est notamment longuement attardé sur la question de l’école, affirmant son soutien à sa nouvelle ministre de l’éducation nationale, empêtrée dans la première affaire gênante du nouveau gouvernement.
Sur l’immigration, le travail ou les questions de genre, le président de la République a livré un discours de droite, réfutant la moindre accointance idéologique avec l’extrême droite, mais s’emparant de l’une de ses marottes : la natalité. Également interrogé sur les questions écologiques, il s’est contenté de se féliciter de son action en la matière et de répéter ses arguments habituels, sans plus de précisions. En fin de conférence de presse, il a abordé les sujets internationaux mais n’a pas eu un mot sur la réforme de l’Union européenne.
Mediapart décrypte les annonces et les silences d’Emmanuel Macron.
École : Macron veut tester ses vieilles recettes et clore le débat public/privé (...)
Le chef de l’État a surtout profité de sa conférence de presse pour marteler son idée forte, celle de l’ordre et du redressement civique à l’école, dans la droite ligne du « réarmement » évoqué à l’occasion de ses vœux aux Français·es. Apprentissage obligatoire de La Marseillaise – « Ce n’est pas vieux jeu, c’est ce qui nous unit », a-t-il plaidé –, généralisation de l’uniforme dès 2026 si l’expérimentation lancée dans 100 établissements s’avère concluante, généralisation aussi du Service national obligatoire (SNU) pour tous les élèves de seconde.
Emmanuel Macron souhaite également doubler les heures d’« éducation civique » – désormais davantage tournées vers les symboles – pour « faire nation ». (...)
Le président de la République en convient : lui qui assurait en 2017 vouloir lutter, grâce à l’école, contre les « inégalités de destin » et « l’assignation à résidence » n’a pas « tout réglé ». Il a aussi confirmé n’être passé que de 5 à 15 % d’absences de courte durée remplacées et promis de traiter définitivement le sujet, qui a récemment rebondi par la grâce de sa nouvelle ministre de l’éducation nationale.
Par la voie du Pacte – ces heures complémentaires demandées au professeur·es depuis la rentrée –, mais aussi par la refonte de la formation continue, hors temps scolaire – ce qui pose d’énormes problèmes non résolus – et la révision « totale » de la formation initiale des enseignant·es. Emmanuel Macron a vanté le modèle, lui aussi ancien et « pas que mauvais », « de l’École normale ».
Dans ces conditions, pas question de se passer d’Amélie Oudéa-Castéra, à laquelle il a réitéré sa confiance, évoquant simplement une « maladresse » d’expression. Le chef de l’État s’est présenté comme un « enfant des deux écoles », celle du public comme celle du privé, sans un mot sur le rapport concernant l’établissement Stanislas que Mediapart révélait le jour même. (...)
restrictions ou des interdictions pour les enfants sur l’usage des écrans, à l’issue des travaux de la commission d’experts rassemblés depuis le début d’année sur le sujet. Il a déploré que des « citoyens » aient « un rapport à la vérité mal bâti »
Immigration : un « problème » et un « consensus social »
Emmanuel Macron assume d’avoir fait voter une loi que le Rassemblement national (RN) a pourtant applaudie des deux mains, en se félicitant d’une « victoire idéologique ». Il nie toute forme de « préférence nationale » et attend que le Conseil constitutionnel se prononce le 25 janvier pour corriger les mesures qui porteraient atteinte aux droits fondamentaux des personnes étrangères vivant en France, et contre lesquelles de nombreuses voix de la société civile se sont élevées. (...)
Tout en continuant de dire qu’il y a un « problème d’immigration » en France – sans toutefois expliquer lequel –, il a revendiqué vouloir « lutter contre l’immigration irrégulière » (...)
Il a ainsi vanté une forme d’immigration choisie, sans un mot pour les travailleurs et travailleuses sans papiers qui n’auraient pas légitimité à être là alors qu’ils et elles soutiennent des pans entiers de notre économie.
« Acte II » pour le plein emploi : contraindre les chômeurs mais « encourager » les employeurs
France Travail à peine né et la future convention d’assurance-chômage toujours en attente de validation par le gouvernement, un énième durcissement se profile déjà pour les demandeuses et demandeurs d’emploi. Pour atteindre le « plein emploi », Emmanuel Macron a annoncé, dès le printemps prochain, un « acte II de la réforme du marché du travail », avec des « règles plus sévères » en cas de refus d’une offre d’emploi et un « meilleur accompagnement » des personnes au chômage.
Le président de la République déplore que la France « manque de travailleurs » et entend mettre fin à cette « anomalie » en contraignant davantage les plus précaires. Les employeurs, eux, seront simplement « encouragés à accélérer les négociations » pour mieux payer les salarié·es. Le chef de l’État s’est d’ailleurs félicité d’avoir permis que « le travail paie mieux que l’inactivité » – ce qui a toujours été le cas –, tout en considérant que « ce n’est pas assez ». (...)
S’adressant aux classes moyennes, rebaptisées « la France de l’angle mort [qui] gagne trop pour être aidée mais pas assez pour bien vivre », Emmanuel Macron a annoncé une baisse de deux milliards d’euros d’impôts dès 2025. Côté salaires, il a également confirmé sa volonté de développer la rémunération au mérite dans la fonction publique.
Enfin, il a demandé au gouvernement d’enclencher un « acte II pour la croissance et l’activité » en vue de « libérer davantage ceux qui innovent, osent, travaillent pour produire plus ». Objectif : « Supprimer des normes, réduire des délais, augmenter les embauches. »
Logement : le retour du « choc de l’offre » (...)
Avec 4 millions de mal-logé·es, près de 3 000 enfants qui dorment à la rue depuis la rentrée, Macron a fini par admettre l’existence de la crise du logement. (...)
Sa solution ? Une « simplification » des normes en matière d’urbanisme et d’environnement, comme cela s’est fait pour les Jeux olympiques (...)
Sans doute une bonne nouvelle pour les promoteurs immobiliers qui ne cessent de dénoncer le trop-plein de règlementations mais certainement pas une réponse au problème massif du logement qui est d’être aujourd’hui beaucoup trop cher.
Avec ce début d’annonce – qu’aucune question parmi les journalistes n’a permis de préciser –, le président de la République a semblé ressortir des placards son « choc de l’offre » de 2017 qui a été un échec flagrant : non seulement la construction de logements s’est effondrée en six ans mais les prix n’ont jamais été aussi élevés.
Sur l’hébergement d’urgence et les familles qui dorment à la rue, le chef de l’État a rappelé qu’il n’y avait jamais eu autant de places ouvertes – près de 200 000. (...)
alors que la loi immigration exclut désormais de l’hébergement d’urgence les personnes déboutées du droit d’asile ou soumises à une obligation de quitter le territoire.
Relancer la natalité, défendre Gérard Depardieu : le programme pour les femmes (...)
aux yeux de l’extrême droite, la baisse de la natalité, que l’Insee vient de confirmer, risque de venir justifier l’immigration pour éviter tout déclin démographique.
Concrètement, Emmanuel Macron n’a fait aucune nouvelle annonce pour y parvenir : il réitère sa proposition de réformer le congé parental (le réduire à six mois pour les deux parents, en le rémunérant mieux) et répète sa volonté de mettre en œuvre un « grand plan de lutte » contre l’infertilité (un dispositif attendu depuis la loi bioéthique de 2021). Rien en revanche sur le service public de la petite enfance, sur les salaires, la précarité des mères isolées… « Laissez nos utérus en paix », a réagi la présidente de la Fondation des femmes Anne-Cécile Mailfert. (...)
Interrogé sur #MeToo et sa défense de l’acteur Gérard Depardieu, mis en cause pour « viol » et par de nombreux témoignages de violences sexuelles, le chef de l’État a tenu le « cap » de son quinquennat – « Je n’ai aucun regret d’avoir défendu la présomption d’innocence pour une personnalité publique » – et a seulement concédé « ne pas avoir assez dit [à cette occasion] combien la parole des femmes qui sont victimes de ces violences est importante ». (...)
Climat : innovation et simplification
Interrogé sur la trajectoire climatique du pays, le président de la République s’est félicité qu’entre 2022 et 2023 la France ait réduit ses émissions de 4,6 % tout en créant « 300 usines de plus ». « Comme quoi ceux qui disent qu’il faut fermer telle ou telle activité pour respecter la trajectoire climat, c’est pas vrai », a-t-il lancé.
Cette affirmation met sous le tapis le fait que cette baisse est plus liée à la crise énergétique qu’à des efforts de sobriété, comme l’a précisé l’organisme chargé de cette évaluation climat.
Également interpellé sur les inondations dans le Pas-de-Calais, Emmanuel Macron a rappelé que le pays devait « s’adapter » grâce à « l’innovation industrielle » et à « la simplification administrative ». (...)
Une agriculture sans contrainte face à la transition écologique
Dopée aux pesticides, responsables de la chute des populations d’insectes et d’oiseaux, l’agriculture productiviste sort une fois de plus confortée du discours présidentiel. Si Emmanuel Macron dit vouloir « accompagner les transitions qui sont à l’œuvre » et annonce qu’il va « accroître dans les prochains mois l’accompagnement des agriculteurs pour les aider à améliorer leurs pratiques », aucune précision n’a été donnée sur ces « pratiques », ni surtout aucune contrainte pour les rendre plus écologiques, l’objectif général étant de lever un maximum de « normes inutiles » dans tous les secteurs de l’économie.
Le président de la République a toutefois reconnu, au détour d’une phrase, l’enjeu majeur de l’agriculture aujourd’hui : « La France manque de travailleurs dans les fermes », a-t-il dit. Un projet de loi très attendu par le monde agricole, censé répondre à ce défi, sera précisément présenté en conseil des ministres mercredi prochain… Mais de nombreux acteurs du secteur dénoncent déjà une coquille vide. (...)
Proche-Orient : un hommage aux Invalides et un espoir de cessez-le-feu (...)
Le président de la République, qui a dénoncé la « stratégie du pire » du Hamas, a affirmé que la France œuvrait diplomatiquement pour faire « cesser ces attaques [israéliennes – ndlr] qui sont par trop indifférenciées ». « Nous devons protéger les populations civiles. C’est un devoir humanitaire parce qu’il ne peut pas y avoir deux standards et que toutes les vies se valent », a-t-il ajouté, plaidant « pour qu’il y ait une vraie réponse dans la durée à l’aspiration légitime du peuple palestinien pour avoir un État ».
Faisant l’éloge de l’action humanitaire de la France et en particulier de l’hôpital installé sur le porte-hélicoptères amphibie Dixmude, en relation avec l’Égypte, il s’est trompé en évoquant les « 1 000 patients » soignés : il s’agit en fait d’une centaine de personnes soignées pour 1 000 nuits d’hospitalisation, a expliqué le ministère des armées interrogé par Mediapart. (...)
Emmanuel Macron a aussi confirmé l’accord entre Israël et le Hamas, noué grâce à l’action de la France et du Qatar, pour la livraison de médicaments aux otages israéliens à Gaza, ainsi qu’une aide supplémentaire aux Palestinien·nes dans le territoire assiégé.
Par ailleurs, le chef de l’État a annoncé qu’il rendrait hommage aux 41 Français·es tués le 7 octobre lors des attaques du mouvement islamiste – « ce qui fait de ces attaques l’acte terroriste le plus meurtrier depuis [l’attentat de] Nice » – le 7 février prochain, au Monument pour les victimes du terrorisme situé sur l’esplanade des Invalides, à Paris.
Guerre en Ukraine : des grands mots, pas de plan (...)
« Nous ne pouvons pas laisser la Russie gagner, car alors c’est la sécurité de l’Europe et de tout le voisinage de la Russie qui serait remise en cause », a-t-il assuré.
Mais le seul élément avancé mardi à l’appui de cette affirmation forte est la livraison de 40 nouveaux missiles à longue portée Scalp. Ceux-ci ne seront pas en mesure, à eux seuls, de changer la donne de l’aide occidentale à Kyiv, décrite par de nombreux observateurs comme suffisante pour permettre au pays de ne pas sombrer, mais pas assez décisive pour lui permettre de prendre l’ascendant sur la Russie.
La France a donc de grands mots mais pas de plan – et cela est apparu d’autant plus crûment que le chef de l’État n’a pas jugé utile de mentionner le rôle de l’Union européenne (UE) dans l’aide militaire à l’Ukraine. L’UE est pourtant attendue au tournant, elle qui a promis de grands programmes concertés de production de munitions – qu’elle n’a pas su honorer –, et alors que les Ukrainien·nes regardent avec crainte l’élection présidentielle à venir aux États-Unis, qui pourrait les priver de l’aide américaine en cas de retour de Donald Trump au pouvoir.
Europe : le grand silence (...)
Les élections européennes se tiennent dans moins de cinq mois. Mais celui qui voulait « refonder l’Europe » en 2017 n’a presque rien dit des dossiers européens du moment, ni plaidé pour aucune réforme de l’UE.
Il s’en est tenu à un vague plaidoyer pour une Europe « puissante » (...)
Aucune des annonces de la soirée ne porte sur des compétences spécifiques au Parlement européen. Avantage de ce silence pour son propre camp : le chef de l’État n’a pas eu à se justifier d’une partie de son bilan controversé des derniers mois à Bruxelles, par exemple la ré-autorisation du glyphosate, le blocage par Paris de la directive sur les droits des plateformes détachés, ou encore la signature d’un accord de libre-échange de l’UE avec la Nouvelle-Zélande.