De la percée électorale du RN en 2024 aux tentatives d’infiltration des milieux culturels et même des médias locaux, la digue modérée bretonne serait-elle en train de se fissurer ? Plongée dans une région qui lutte pour ne pas se faire envahir par la marée brune, face à des militants de moins en moins complexés et des milliardaires aux penchants ultraconservateurs bien décidés à faire triompher leur agenda.
« Callac a été le point de bascule », lance Erwan Chartier-Le Floch, rédacteur en chef du journal local Le Poher, à Carhaix, dans le centre-Finistère. Ce spécialiste de la vie politique bretonne fait référence à l’affaire du centre d’accueil de migrants dit « Projet Horizon » qui aurait dû voir le jour dans cette petite bourgade rurale des Côtes-d’Armor peuplée d’un peu plus de 2000 habitants.
Pendant des mois, de septembre 2022 à janvier 2023, l’annonce de la mise en place de la structure a été le prétexte à une offensive de l’extrême droite contre les élus locaux. Des proches du mouvement zemmouriste Reconquête, appuyés par les identitaires venus du Grand Ouest, sont venus faire le coup de poing. (...)
« Avant 1981, c’était une terre démocrate-chrétienne. Après 1981, ça a été l’hégémonie du Parti socialiste jusqu’en 2017, où les Bretons se sont tournés vers Emmanuel Macron », résume Christian Bougeard, historien de la vie politique bretonne. Même Jean-Marie Le Pen, qui avait beau être natif de la région, n’est jamais parvenu à être prophète en son pays. Lors de l’élection présidentielle de 2002, dans les villes de Brest, Rennes, Lorient ou Saint-Brieuc, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont battu le pavé contre l’extrême droite. Résultat : celui que ses partisans surnomment « le Menhir » n’a récolté que 12 % des voix bretonnes, contre 88 % pour Jacques Chirac. « La Bretagne a confirmé son statut d’incontestable bastion d’opposition au FN », rappelle Christian Bougeard. Une époque qui semble désormais lointaine.
Lors des élections européennes de 2024, le Rassemblement national – porté par Jordan Bardella – est arrivé en tête, pour la première fois tous scrutins confondus, avec 25,58 % des voix. (...)
« La région est aussi aspirée par le contexte politique français et européen où tout souffle dans le sens de l’extrême droite », analyse Ronan Le Coadic, professeur émérite de langue et culture bretonnes.
Galvanisés par ces avancées, plusieurs militants proches des franges réactionnaires ont investi la région ces dernières années. Le collectif de vigilance antifasciste VISA, dénombre une cinquantaine d’actions, depuis septembre 2022. Parmi elles, la manifestation houleuse contre le centre d’accueil des demandeurs d’asile à Saint-Brévin-les-Pins en février 2023, des menaces et pressions sur plusieurs élus bretons et journalistes, l’attaque d’un festival antifasciste à Saint-Brieuc en juillet 2023, plusieurs agressions et de très nombreuses dégradations. La plus récente expression de cette montée des violences d’extrême droite en Bretagne est l’attaque d’un bar marqué à gauche, à Brest, par une trentaine de nervis, le 20 septembre 2025. L’enquête, toujours en cours, semble mener à la Section West, un groupe dissident des ultras du Stade Brestois, marqué à l’extrême droite.
Le football breton n’est en effet pas épargné par cette marée identitaire. (...)
Des pulls 100 % « enracinés »
L’extrême droite s’immisce aussi dans la vie culturelle bretonne. Là, plusieurs acteurs sont à l’œuvre et forment une petite constellation d’entreprises et d’associations « enracinées », « patriotes », très souvent catholiques avec un penchant pour l’esthétique celtisante.
À l’instar de Dreistden. Sur le papier, la PME de Saint-Brieuc vend des pulls en laine mérinos made in Breizh, qui s’inspireraient de « l’héritage celtique ». Son nom « Dreistden » signifie en breton « surhomme », un concept philosophique de Friedrich Nietzsche, largement dévoyé et glorifié par les nazis. Le fondateur de l’entreprise Vincent Blanchard assure pourtant que Dreitsden signifie « homme complet ». Honnête erreur de traduction ou clin d’œil à ses followers plutôt réacs’ ? (...)
Pourtant, Dreistden est suivie par plusieurs figures très droitières telles que Tristan Mordrelle, chantre de l’extrême droite bretonne, soutien d’Éric Zemmour et l’un des principaux leveur de fonds de l’extrême droite française ; ou Academia Christiana, une organisation identitaire catholique, fondée en 2013 par Julien Langella, cofondateur de Génération identitaire. Le Parti national breton (PNB), ainsi que quelques membres de l’Alvarium, organisation identitaire d’extrême droite angevine, apprécient aussi ses pulls. (...)
La chanson de Stérin
Pierre-Édouard Stérin, milliardaire catho-identitaire, essaie, lui aussi, de se faire une place dans la péninsule bretonne par le biais du label qu’il finance : Les plus belles fêtes de France, comme l’a révélé l’Humanité en juillet 2025, qui fait partie de la panoplie d’entreprises liées au projet Périclès lancé par Stérin pour faire triompher l’extrême droite. Le label « des amoureux des traditions locales » entend offrir aux événements une visibilité sur ses réseaux, un soutien financier et des ressources diverses, et la Bretagne n’est pas épargnée. (...)
Pour l’heure la région plie mais ne rompt pas. Elle doit notamment son salut au manque de base militante d’extrême droite prête à mener des batailles électorales locales. Reste à voir si cette affirmation sera toujours vraie lors des prochaines élections municipales. (...)