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Mediapart
Le fantôme corse classé secret-défense de Bernard Squarcini
#anticorruption #secretdefense #BernardSquarcini
Article mis en ligne le 30 novembre 2024
dernière modification le 29 novembre 2024

En quittant les services de renseignement intérieur, l’ex-patron de la DCRI a emporté avec lui près de 400 documents classifiés, une possible compromission du secret de la défense nationale. Un nom revient avec insistance dans cette masse documentaire : Igor Peccatte. Enquête sur une ombre de la République

Mi-mercenaire, mi-affairiste, c’est un homme dont on prononçait le nom à voix basse dans certains cercles tant il était craint. Une ombre fuyante qui a plané, furtive et insaisissable, sur les décennies 1980, 1990 et 2000 dans cet inframonde où se rejoignent parfois les gens du crime et ceux des services étatiques, entre Corse et Afrique, loin des organigrammes officiels. C’est aussi, depuis le 12 janvier 2022, le jour de sa mort dans le hameau d’Onéo, en Haute-Corse, un fantôme.

Son nom, Igor Peccatte, ne dit rien au grand public. Mais il se pourrait bien qu’il surgisse du passé cette semaine au beau milieu du procès à Paris de Bernard Squarcini, l’ancien patron des services de renseignement intérieur durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy (2007-2012).

Poursuivi pour onze délits présumés, notamment pour avoir servi les intérêts privés de la multinationale LVMH en détournant des moyens de l’État, Bernard Squarcini est aussi jugé – c’est moins su – pour avoir compromis le secret de la défense nationale. Un comble pour un haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur pour qui le secret était censé être une qualité professionnelle autant qu’un sacerdoce.

Plus précisément, les enquêteurs de l’Office anticorruption de la police judiciaire (OCLCIFF) ont découvert en 2016, en perquisitionnant son domicile, son bureau et son coffre à la BNP que l’ancien maître espion avait soustrait et conservé près de quatre cents documents classifiés, dont certains ultrasensibles, au moment de son départ de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, aujourd’hui DGSI) en 2012.

Selon l’inventaire complet de ces documents classifiés retrouvés en perquisition, auquel Mediapart a pu avoir accès, Bernard Squarcini a gardé avec lui des archives provenant du plus haut sommet de l’État : de l’Élysée et de Matignon, des ministères de la défense et de l’intérieur. (...)

Ils balaient des sujets aussi divers que le terrorisme islamiste, le nucléaire iranien, Dominique de Villepin, la Syrie, les écoutes administratives, mais aussi les affaires Clearstream, Karachi ou HSBC.

Toutefois, une seule personne revient avec une constance inédite dans cette impressionnante masse documentaire : Igor Peccatte. (...)

« l’un des hommes les plus dangereux qu’il m’ait été donné de rencontrer », nous a confié un jour un témoin ayant fait carrière dans la sécurité.

Toutes les personnes qui s’expriment dans cet article ont accepté de le faire à la seule condition de l’anonymat, vu la sensibilité du sujet. (...)

Selon le livre Compromissions (Fayard, 2015) du journaliste et écrivain Pierre Péan, Igor Peccatte avait un « engagement fort avec les nationalistes corses » tout en cultivant des « contacts avec la Brise de mer », l’un des principaux groupes mafieux de l’île. (...)

Bernard Squarcini lèvera-t-il un coin du voile durant les audiences de son procès consacrées aux documents classifiés qu’il a emportés avec lui ? Durant l’instruction, il n’a répondu qu’en termes généraux, se refusant à entrer dans le détail (...)

Lire aussi :

 Procès Squarcini : espionnage massif, réquisitions modérées

Le procureur a requis une peine de quatre ans d’emprisonnement avec sursis et 300 000 euros d’amende contre l’ancien patron du renseignement intérieur Bernard Squarcini pour son implication dans l’espionnage du journal « Fakir ».

EnEn sortant de la salle d’audience, Bernard Squarcini n’a pas caché, mezza voce, qu’il était un peu soulagé. En réclamant sa condamnation dans l’affaire de l’espionnage privé au service de LVMH, le procureur Hervé Tétier n’a pas prononcé le mot « ferme », mais « sursis ». Quatre ans quand même d’emprisonnement avec sursis, assortis d’une amende de 300 000 euros, et d’une confiscation de 82 802 euros déjà saisis. Avec en sus, une interdiction pour cinq ans de toute activité liée au renseignement, à la surveillance, à l’intelligence économique, et au conseil aux entreprises, ainsi que de fonction publique.

Le harpon du procureur n’est pas passé loin pour celui qu’on surnomme « le Squale », poursuivi pour « des faits d’une particulière gravité ». Reste à savoir si le tribunal suivra ou pas ces réquisitions. (...)

Avant de passer en revue une à une les charges retenues contre les prévenus, le procureur a qualifié le dossier « d’étrange, inquiétant et confus ». « Il est inquiétant parce que vous avez devant vous des hauts fonctionnaires, ce qui évidemment interpelle », a-t-il résumé. Les différents volets de l’affaire dont Squarcini est le fil rouge se sont empilés dans la foulée de l’enquête sur l’emprise mafieuse du cercle de jeux Wagram. (...)

S’agissant du volet Wagram, Bernard Squarcini est en relation avec plusieurs suspects du cercle de jeux. Alors que l’opération de police est en cours, il ordonne, sous de fausses raisons, en juin 2011, le placement sur écoute d’un enquêteur du Service central des courses et jeux, Franck Alioui, qui a eu des mots avec Marie-Claire Giacomini, la responsable du bar et du restaurant du Wagram, dont Squarcini est proche.

Le Squale est ici poursuivi pour « faux en écriture publique et usage ». (...)