Le mot antispécisme a fait son entrée dans le monde militant. Victor Duran-Le Peuch en donne une excellente définition : c’est le système de pouvoir qui « trace la frontière entre les vies qui comptent et celles que l’on élimine », tue des milliers de milliards d’animaux par jour, et justifie cela de différentes manières, plus ou moins savantes, puisant dans le sens commun ou dans de pseudo argumentations scientifiques.
C’est à cet ensemble hétéroclite de justifications puissamment ancrées, tout particulièrement en France où la consommation de viande fait partie d’un répertoire national prétendument glorieux, du barbecue populaire à la gastronomie distinguée, que s’attaque ce livre En finir avec les idées fausses sur l’antispécisme. Composé de neuf parties reprenant chacune d’entre elles différents arguments opposés rituellement aux antispécistes (par exemple « Les animaux sont inférieurs » ou « L’égalité animale est dangereuse » ou « absurde »), c’est un précieux manuel. Minutieux, subtil, on y retrouve toutes les qualités (et presque la voix !) de l’excellent podcast Comme un poisson dans l’eau qui, depuis plusieurs années maintenant, nous arme contre les attaques, les dénégations et toutes les dissonances cognitives qui accompagnent la consommation d’animaux. Dans la partie 5, particulièrement utile, l’auteur décortique des arguments récents, en apparence plus « bienveillants », qui en réalité, loin de la solidarité animale, continuent à légitimer l’exploitation. L’extrait qui suit est consacré au concept de « bien-être ». (...)
Tout comme la « vie bonne », le concept de « bien-être » revêt un sens complètement différent selon qu’il concerne des humains ou qu’il est désigné « animal ». Il a même très largement été récupéré et détourné pour masquer les violences inhérentes à l’élevage : les labels et les communications marketing en font un argument clé pour rassurer les consommateur-ices.
Mais cette formule n’est qu’une vaste fumisterie : les poules « élevées en plein air » peuvent n’avoir qu’un accès très limité à l’extérieur, les cages deviennent « enrichies » avec des aménagements minimes, et les mutilations (par exemple les castrations à vif des porcelets ou le meulage de leurs dents) sont pudiquement rebaptisées « soins ».
L’absurdité de ce langage atteint son apogée dans l’industrie du foie gras (...)
L’élevage prive les animaux de leur liberté, de leur autonomie et d’une vie riche et épanouie. Sur le modèle de la Vache qui rit, leur « bonheur » n’est qu’un sourire plaqué sur le visage de leur asservissement.
Le mythe de la viande heureuse, pilier du néo-carnisme
Dans un contexte où l’exploitation animale est de plus en plus remise en question par les mouvements antispécistes et écologistes, le mythe de la viande heureuse joue un rôle central dans la défense de l’élevage. Il s’inscrit dans une idéologie plus large, le néo-carnisme [1], qui cherche à renouveler les justifications du carnisme pour les adapter aux préoccupations contemporaines. La Déclaration de Dublin de 2022 en est le concentré parfait [2] : cette opération de communication des industries animales pour réaffirmer l’importance de l’élevage se drape dans tous les mots d’ordre progressistes (préoccupations écologistes, sanitaires, économiques et sociales), tout en euphémisant les problèmes de l’élevage industriel– se référant elle aussi, bien entendu, au « bien-être » et à la « santé » des animaux. (...)
– (Editions de l’Atelier)
En finir avec les idées fausses sur l’antispécisme
de Victor Duran-Le Peuch