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Le magazine « Frontières » a établi une liste d’auxiliaires de justice spécialisés dans la défense de personnes en situation irrégulière, précisant leurs nom, prénom et lieu d’exercice de leur profession, allant jusqu’à poster leur photo sur les réseaux sociaux. Trois avocats ont porté plainte.
Guillotine« Guillotine », « Une balle », « Mort à ces collabos »… Depuis la publication d’un numéro consacré à une prétendue « invasion migratoire » du magazine d’extrême droite Frontières, plusieurs avocats spécialisés en droit des personnes étrangères sont cyberharcelés, intimidés et menacés de mort.
Dans le hors-série paru le 30 janvier 2025, le trimestriel identitaire publie une série d’articles ciblant, parfois nominativement, des avocats, des magistrats et des justiciables, désignés comme « les coupables de l’invasion migratoire ». L’un d’eux, en particulier, est consacré aux avocats et associations qu’il accuse, par appât du gain ou velléités idéologiques, de tirer avantage de l’engorgement des tribunaux administratifs français et d’utiliser le droit pour « faire plier la France ».
Le dossier s’accompagne d’une liste d’avocats, sur laquelle ceux-ci sont identifiés par leur patronyme et leur prénom ainsi que par le tribunal dans lequel ils exercent. Une mise en cause publique qui ne s’arrête pas là.
Pour mieux faire la promotion de la publication, deux avocats à Lyon, Morgan Bescou et son associé Laurent Sabatier, arrivés en tête du « podium des avocats des clandestins », ont ainsi vu leur visage et leur nom diffusés sur les réseaux sociaux, avec la mention « 135 dossiers défendus ».
Dans un autre post vidéo diffusé sur le compte Instagram du média, les avocats Samy Djemaoun et Roman Sangue, exerçant à Paris et présentés comme des « militants idéologiques des idées pro-migrants », sont aussi directement ciblés. Il n’en fallait pas plus pour alerter la fachosphère, qui a ensuite déchaîné sa haine sur les avocats concernés. (...)
Des avocats racisés menacés de mort (...)
Depuis la vidéo de Frontières, Samy Djemaoun et Roman Sangue ont été particulièrement visés. « Quand on a sa tête placardée sur l’ensemble de la fachosphère, ce n’est pas facile, déplore le premier. On est parmi les plus ciblés, avec mon confrère Roman Sangue. » Sur Instagram, certains se réjouissent d’avoir « la liste de ceux qui y passeront en premier ». (...)
En réaction, ces deux avocats, ainsi que Jean de Seze, ont déposé plainte le 3 février auprès de la procureure de la République de Paris, pour mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’information, cyberharcèlement et acte d’intimidation envers un avocat. En annexe, un constat d’huissier répertorie chaque intimidation et menace à leur égard… sur plusieurs centaines de pages.
« Outre les nombreuses erreurs et approximations juridiques qui trahissent une méconnaissance profonde de la justice administrative et du rôle d’un avocat devant ces juridictions, l’ensemble de ces publications était susceptible de revêtir différentes qualifications pénales », lit-on dans la plainte, que Mediapart a pu consulter. (...)
Une indignation unanime de la profession
Dans un communiqué, le Conseil national des barreaux (CNB) a « fermement condamné l’attaque ciblée de Frontières » à l’égard de ses confrères. « Défendre les justiciables, quels qu’ils soient, est l’essence de la profession d’avocat. Ces attaques sont inadmissibles et ne peuvent prospérer », rappelle-t-il, indiquant saisir le parquet de Paris.
Au niveau local, plusieurs barreaux ont aussi choisi de dénoncer ces pratiques. (...)
À Bordeaux, la profession pointe des attaques nauséabondes et apporte un « soutien total à tous les avocats exerçant avec dévouement, au quotidien, la défense des étrangers ». « Il a été décidé de ne rien faire à Lyon et d’être dans l’indifférence, indique Morgan Bescou. Il est hors de question de faire de la pub à des torchons de bloc identitaire. »
« C’est un appel de nature à déclencher de la violence et c’est grave car cela met en danger des avocats. On les jette en pâture en les faisant passer pour des personnes qui nuiraient à l’État de droit alors qu’ils en sont l’un des rouages essentiels », réagit Judith Krivine, présidente du SAF, auprès de Mediapart. (...)
Ces attaques contre la profession s’inscrivent par ailleurs dans un contexte d’hostilité plus général envers les avocats. (...)
Il arrive que des avocats pénalistes soient attaqués lorsqu’ils défendent des personnes accusées de crimes ou de terrorisme, « mais pour des avocats en droit des étrangers, c’est assez nouveau », relève Lucas Chataignier, chargé du dépôt de plainte avec son confrère Mohamed Jaite. « Et la revue n’attaque pas seulement des avocats, mais aussi la juridiction administrative de manière générale, et le Conseil constitutionnel, qui a autorisé l’aide juridictionnelle pour les personnes en situation irrégulière… », précise-t-il.