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Mediapart
Écologie : électricité partout, sobriété nulle part
#energies #urgenceclimatique #Macron
Article mis en ligne le 19 février 2025
dernière modification le 16 février 2025

Près de 100 milliards d’euros d’investissements dans le réseau d’électricité, des usines qui pourraient consommer beaucoup plus d’énergie qu’aujourd’hui et un chef d’État qui appelle les industriels à se brancher sans limite : la transition énergétique à la française dévore les électrons et ne rêve que de nucléaire.

Quand Donald Trump, à peine intronisé président des États-Unis, a repris son slogan de campagne « Drill, baby, drill » appelant à forer le pétrole jusqu’à la dernière goutte, moqueries et consternation se sont largement exprimées en Europe. Alors quand Emmanuel Macron se livre à un numéro en miroir, invitant les industriels du numérique à « Plug, baby, plug », c’est-à-dire à brancher jusqu’à plus soif leurs data centers et usines de batteries dans le système électrique français, est-ce plus raisonnable ?

La blague du chef de l’État visant son « ami » d’outre-Atlantique s’est depuis matérialisée en torrents d’investissements – en tout cas annoncés : 109 milliards pour l’intelligence artificielle (IA) et un méga data center avec les Émirats arabes unis, trente-cinq sites « prêts à l’emploi » identifiés pour y construire des centres de données, une giga installation annoncée à Cambrai. Et un plan d’investissements stratégiques de près de 100 milliards d’euros présenté par le gestionnaire du réseau électrique, RTE, pour mettre en œuvre « l’équation d’une France qui se réindustrialise et se décarbone en même temps » tout en s’adaptant à une hausse de 4 °C des températures en 2100, a résumé son président Xavier Piechaczyk, jeudi 13 février. (...)

Aujourd’hui, l’électricité ne représente qu’un quart de l’énergie consommée dans le pays, qui reste massivement dépendant du pétrole et du gaz pour ses transports – et dans une moindre mesure le chauffage des logements et bâtiments. La stratégie nationale bas carbone entend renverser ce rapport et faire des électrons la source majoritaire d’ici 2050 pour lutter contre le dérèglement climatique.

Cette vision du tout-électrique et ces mégaprojets d’infrastructures sont-ils la meilleure manière de garantir la prospérité tout en protégeant les écosystèmes ? Il existe au moins trois raisons d’en douter :

L’oubli des limites planétaires (...)

« L’électricité est disponible, vous pouvez vous brancher, elle est prête ! » : la petite phrase d’Emmanuel Macron au sommet de l’IA a fait rire l’assistance. En réalité, elle marque un oubli inquiétant : si l’électricité est majoritairement produite par les centrales nucléaires en France (67 % en 2024) et donc très peu émettrice de CO2, un critère essentiel pour protéger le climat, ses usages ont de multiples impacts sur l’environnement.

L’électrification des transports et de l’industrie requiert énormément de ressources en minerais et métaux (cuivre, terres rares, lithium, coltan, cobalt…) – jusqu’à parfois l’accaparement dans des pays en guerre, dont les techniques d’extraction sont très polluantes. Les data centers ont des besoins colossaux en eau pour les refroidir. Les centres de données augmentent en taille avec l’essor de l’IA générative – afin de gagner en puissance, on parle d’« hyper scalers » – et consomment beaucoup de foncier. (...)

Tout cela génère aussi beaucoup de déchets, sans oublier l’enjeu des rebuts nucléaires. Un boom illimité des usages électriques en France aura inévitablement pour conséquences d’augmenter les émissions de CO2 ailleurs. (...)

La sobriété sacrifiée ?

Le plan massif d’investissements du gestionnaire d’électricité RTE se cale sur les prévisions de production retenues par l’État dans son document de programmation pluriannuelle énergétique pour la période 2025-2035 (PPE3) – qui devrait être publié à la fin du premier trimestre de cette année. Il prévoit une forte augmentation de la production d’électricité en 2035 (+ 22 %). (...)

Production et consommation d’électricité en France atteindraient un pic historique à 640 terrawattheures. C’est très au-dessus de l’objectif européen d’efficacité énergétique que la France est censée respecter en 2030. (...)

l’autorité environnementale, qui éclaire les autorités sur la prise en compte des sujets d’écologie, alerte elle aussi, dans son avis de décembre, sur le non-respect des objectifs européens sur la consommation énergétique finale – appelés « Fit for 55 » –, et recommande de la réduire d’au moins 12 %. Elle demande aussi à l’administration de préciser sa vision de la disponibilité en eau et ses conséquences pour la production électrique, en raison des « conflits d’usage pendant les périodes de sécheresse dont l’occurrence sera accrue du fait du changement climatique ».

Le Haut Conseil pour le climat, qui évalue l’action publique, demande pour sa part à l’État de préciser « l’impact des principales mesures retenues » sur l’énergie finale et la décarbonation. (...)

L’aveuglement budgétaire

Dans une période d’efforts budgétaires, difficile d’éviter la question. Or c’est la grande absente des prévisions officielles vers le tout-électrique, sans étude d’impact économique sur ce qu’il faudra débourser pour payer la relance du programme nucléaire (...)

La Cours des comptes en conclut qu’il faudrait « retenir la décision finale d’investissement du programme EPR2 », à savoir les réacteurs de Penly, Gravelines et du Bugey, « jusqu’à la sécurisation de son financement ».

Pour Yves Marignac, prévoir de consommer autant d’électricité que le font les modèles de l’administration correspond à « une trajectoire auto non réalisatrice » car « pour augmenter à ce point et à cette vitesse, il faudrait tout augmenter : les investissements dans les EPR, les énergies renouvelables, la construction d’usines, etc. Tout cela à toute vitesse mais en restant compétitif. On risque en réalité de perdre sur tous les tableaux : industriel, économique, social et sur le climat ».