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Mediapart/Eclats de sciences
Biodiversité : les espèces se déplacent, les scientifiques sont perplexes
#biodiversite #changementclimatique
Article mis en ligne le 18 novembre 2024
dernière modification le 10 novembre 2024

Le changement climatique provoque déjà des déplacements au sein du vivant, qui vont s’accentuer. Mais la science peine à les anticiper. Et les raisons de ces migrations de faune et de flore sont multiples, selon plusieurs publications récentes.

(...) le vivant s’est mis en mouvement, à une très grande échelle. Sur tous les continents, d’innombrables microbes, plantes, coraux, insectes, mammifères sont en train de modifier leur aire de répartition, en une sorte d’immense chassé-croisé planétaire. (...)

L’étude de ces mouvements a un intérêt scientifique théorique évident : ils détiennent la clé de ce qui est important pour les espèces, de la façon dont elles se meuvent, des manières qu’elles ont de s’assembler. Mais comprendre et prédire les mouvements futurs des animaux, plantes ou microbes aurait, de plus, un intérêt pratique majeur.

« On peut citer deux domaines importants qui seront impactés par ces mouvements : la protection de la nature et la santé publique », indique Veronica Frans, chercheuse à l’université de Stanford, qui a publié en juin 2024, dans la revue Nature Ecology and Evolution, un article remarqué sur ces questions. (...)

Il est au moins deux autres domaines où cette prédiction serait précieuse. L’agriculture, car beaucoup de plantes et d’animaux d’élevage sont toujours en interaction, positive ou négative, avec des organismes sauvages, qu’il s’agisse d’insectes pollinisateurs, de plantes de prairie ou de ravageurs divers.

Et puis la sylviculture, où l’inquiétude est perceptible devant la vitesse du réchauffement. Quels arbres vont survivre au climat futur, faut-il laisser la forêt se débrouiller pour s’adapter ou bien faut-il planter, et dans ce cas quelles essences ? (...)

Des prédictions encore imprécises

Or c’est bien en ce qui concerne ces prédictions que le bât blesse. Car un quart de siècle après la découverte de Camille Parmesan, la compréhension et surtout la prédictibilité des déplacements de chaque espèce restent extrêmement limitées. (...)

Mais, si 59 % d’entre elles vont vers les pôles ou l’altitude, confirmant la signature du réchauffement, pas moins de 35 % vont dans la direction opposée, sans que l’on comprenne forcément pourquoi tel organisme particulier effectue tel mouvement. (...)

En pratique et par exemple, puisque l’on estime que Paris a aujourd’hui le climat de Bordeaux il y a quarante ans, et atteindra celui de Toulouse vers 2050, les espèces devraient en gros suivre des trajectoires analogues. Or ce raisonnement a été tout bonnement démenti par la réalité.

Ce que l’on a observé est en effet très différent. « On distingue, pour commencer, une différence majeure entre les espèces marines et les espèces continentales : les premières migrent presque six fois plus vite vers les pôles que les secondes ; en moyenne, 5,92 kilomètres/an, contre 1,11 kilomètre/an ! », explique Jonathan Lenoir, chercheur au CNRS, qui a publié cette découverte en 2020. (...)

Les espèces continentales sont donc en train d’accumuler une « dette climatique », estime le chercheur, sans qu’il soit véritablement possible d’en déterminer les conséquences. En outre, les espèces présentent plus de retard dans leur migration vers les pôles que dans leur migration vers les hauteurs. (...)

De plus, il existe de très importants écarts selon les groupes d’espèces considérés : les insectes, par exemple, sont en Europe parmi les migrateurs les plus rapides, se déplaçant d’environ 20 kilomètres par an vers le nord, tandis que les familles de plantes sont en moyenne… restées sur place.

Il est tentant d’expliquer ces écarts par les capacités de déplacement des individus, mais cela ne tient pas. Les oiseaux, par exemple, ont en moyenne moins changé d’aire de répartition que les insectes, alors qu’ils sont aussi – si ce n’est plus - mobiles qu’eux. (...)

De plus, les espèces ont une capacité d’évolution et d’adaptation que les modèles écologiques prennent encore rarement en compte. « Les arbres sont des mosaïques génétiques », note le forestier Francis Martin, chercheur émérite à l’Inrae de Nancy. (...)

L’impact des activités humaines

Enfin, il faut ajouter à tout cela un autre aspect essentiel. Certes, le climat est important pour une espèce. Mais, à l’ère de l’Anthropocène, c’est loin d’être le seul facteur influençant les mouvements des organismes. C’est ce que montre un article d’une équipe emmenée par Pieter Sanczuk de l’université de Gand, en Belgique, paru dans Science en octobre 2024, qui a constaté, à partir de 266 plantes de sous-bois européennes, qu’elles avaient migré principalement vers l’ouest, et non vers le nord, au cours des dernières décennies.

L’explication, selon les auteurs, semble être à chercher du côté de deux paramètres humains. (...)

Un besoin d’interdisciplinarité

Veronica Frans, elle-même écologue, y voit un biais de sa discipline dans son ensemble : « Nous avons encore tendance à penser que la présence d’un animal dépend de la nature qui l’environne, alors que les systèmes humains sont désormais en train de fusionner avec la nature, à l’heure de l’Anthropocène. »

Pour rendre plus prédictible l’immense chassé-croisé d’espèces qui aura lieu au cours du siècle à venir, les modèles écologiques décrivant les besoins des espèces – qui ont déjà fait beaucoup de progrès – doivent à présent incorporer ces variables humaines, plaide la chercheuse. Cela va supposer que les écologues interagissent avec des économistes, des démographes, des sociologues, des anthropologues. (...)