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Mediapart
Autour de Chailley dans l’Yonne, les mégapoulaillers continuent de pousser
#elevageindustirel #megapoulailler #France #UE #Yonne
Article mis en ligne le 11 octobre 2025
dernière modification le 6 octobre 2025

Le développement de l’industriel de la volaille Duc, filiale du géant néerlandais Plukon, se poursuit dans l’Yonne et dans l’Aube. Un nouveau mégapoulailler est sur le point de sortir de terre, tandis que d’autres sont à l’étude. Réveillant, après un été de sécheresse, la question de la consommation d’eau par le secteur agricole.

(...) Au total, ce sont 90 000 poulets que devraient contenir ces bâtiments, sans accès à l’extérieur ni à la lumière naturelle, pour être abattus au bout de quarante jours. Soit une production de 630 000 volailles par an.

Ce projet, qui fait en ce moment l’objet d’une consultation publique instruite par la préfecture de l’Aube, s’inscrit dans une vaste stratégie de développement des industriels de la volaille. Derrière ces mégapoulaillers apparemment isolés se trouvent en effet deux poids lourds de l’agroalimentaire : Sanders, filiale du groupe Avril, qui fournira poussins (en provenance de Belgique) et aliments à l’exploitant agricole, et Duc, la filiale du géant néerlandais Plukon. Son abattoir, historiquement installé à quelque 80 kilomètres de là, à Chailley dans l’Yonne, écoulera les poulets sortis de la ferme. (...)

Éleveur de brebis et propriétaire de 110 hectares, cet agriculteur dit avoir pour objectif « l’autonomie », alors que le coût des fertilisants a explosé ces derniers mois. (...)

Le fumier issu des mégapoulaillers servira de fertilisant pour ses champs, tandis qu’une partie de ses cultures pourra être absorbée directement par les volailles. Il affirme également que 40 % de la ration alimentaire sera fournie par son exploitation.

Riveraines et riverains ne l’entendent pas de cette oreille. La perspective de l’épandage des eaux de lavage du poulailler et de 600 tonnes de fumier par an – ainsi que l’indique le « plan d’épandage » de l’exploitation – divise profondément. Cinq communes sont concernées. Et les terres sont classées en zone vulnérable aux nitrates, substances que l’on retrouve en grande proportion dans les déjections des volailles…

À Thieffrain, une association est en train de se constituer pour pouvoir lutter contre le projet. Une réunion a été organisée dans le village, et une pétition a été lancée sur Internet il y a quelques jours. De son côté, l’association Aube-Durable a mis en évidence, dans sa contribution à l’enquête publique, tous les problèmes posés par ce projet : la consommation d’eau du bâtiment – qui « augmentera de 50 % la consommation d’eau du village » ; les importantes émissions carbone liées au transport des poussins, des aliments et des poulets ; le respect du bien-être animal, et de nombreuses contradictions entre les différents documents du dossier. C’est un projet « particulièrement inadapté à ce canton et aux impératifs sociaux et environnementaux de notre époque », conclut Aube-Durable.

« Il n’y a plus aucun marché pour le bio ou le plein air, rétorque Nicolas Marisy. Alors oui, je fais de l’intensif. Je ne suis pas plus heureux que ça de le faire, mais cela correspond au marché d’aujourd’hui. » (...)

La France bat un triste record en la matière : sur le continent, plus de la moitié des poulets élevés à la densité maximale se trouvent dans l’Hexagone, selon un rapport de la Commission européenne paru il y a quatre ans.

Interrogé à ce sujet par Mediapart en mars dernier, le commissaire européen à l’agriculture, le Polonais Janusz Wojciecowski, avait reconnu : « Nous avons un problème avec les fermes industrielles dans l’Union européenne. Dans certains secteurs comme la volaille et le porc, nous pouvons observer un processus de concentration de la production et de changement de l’agriculture. L’agriculture est devenue une industrie et nous avons besoin de soutenir les alternatives aux fermes industrielles : les fermes biologiques, les fermes de petite et moyenne taille, et les fermes durables. » (...)

Dans une enquête publiée en février dernier, Mediapart avait raconté la nouvelle stratégie de Duc depuis son rachat en 2017 par le néerlandais Plukon. Nous avions alors cartographié les projets de mégapoulaillers en cours dans l’Yonne et ses alentours, certains directement en contrat avec Duc, d’autres avec De Heus – société actionnaire à 40 % de Plukon –, d’autres enfin avec Sanders. Tous construits par le biais d’un endettement des agriculteurs sur une quinzaine d’années. (...)

Selon nos informations, ces dizaines de milliers de poulets sont destinés à être écoulés dans les abattoirs de Duc-Plukon à Chailley, mais aussi à Mouscron, en Belgique, et à Saint-Bauzély, dans le Gard, suivant un modèle de production complètement standardisé : souche unique de poulet (le « Ross 308 »), croissance en 40 jours pour obtenir des bêtes de 2,5 kilos, « desserrage » du poulailler à 32 jours avec retrait de poulets de 1,9 kilo…

Cette viande bas de gamme, la moins chère du supermarché, au prix d’une forte pénibilité dans les fermes comme dans les abattoirs, c’est aujourd’hui l’unique chaîne de fabrication de Duc-Chailley. Comme nous le révélions il y a quelques mois, la société a tourné le dos au bio et autres labels de plein air, obligeant éleveurs et éleveuses sous contrat avec l’entreprise à revenir au conventionnel ou à mettre la clef sous la porte. Au total, ce sont 80 nouveaux poulaillers que Duc – qui n’a pas donné suite à nos questions - souhaite développer. (...)

À Sergines, à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de l’usine de Chailley, l’autorisation a été délivrée : le 21 septembre, la préfecture de l’Yonne a validé la construction d’un bâtiment d’une capacité de 39 600 poulets – juste au-dessous du seuil des 40 000 nécessitant une enquête publique. La consultation publique avait pourtant recueilli des avis très mitigés.

Le problème de l’eau

La commune voisine de Michery, concernée dans une première version du projet par le plan d’épandage du mégapoulailler, a voté à l’unanimité en mai une motion défavorable. Et l’association locale Sergines à contre vent a lancé une pétition contre la construction du poulailler. Elle a déjà recueilli près de 40 000 signatures.

Des résistances pour l’instant sans effet. Ces jours-ci commencent les travaux de préparation du sol. Le bâtiment devrait sortir de terre en 2023. (...)

Comme son collègue de Thieffrain, Éric Bourdon invoque la consommation. « Je fais ce que le marché demande », dit-il, pointant le fait qu’actuellement, 45 % du poulet standard est importé de l’étranger.

Pour Brigitte Guéret, première adjointe municipale à Michery, il faut cesser de traiter ces projets de poulaillers séparément. Car ils posent un problème général sur les ressources en eau du territoire, alors que celui-ci est en « vigilance sécheresse accrue » depuis plusieurs mois. (...)

Autre problème : l’Agence de l’eau n’a pas été consultée par la commission préfectorale qui a délivré l’autorisation de construction. Or, sur notre communauté de communes, les projections proposées indiquent que nous allons vers un accroissement de la population. Nous manquons d’une ligne de conduite générale pour la politique de l’eau. » (...)

Sollicitée, la préfecture de l’Yonne n’a pas répondu à nos interrogations. La réponse se trouve peut-être du côté des instances agricoles et du gouvernement, où les pertes françaises de parts de marché à l’international inquiètent.

Longtemps, le « poulet export » congelé fut la locomotive des exportations de l’agroalimentaire français, notamment vers le Moyen-Orient et l’Afrique de l’Ouest. Jusqu’à décliner à partir de 2014, comme le rappelait un rapport publié cette semaine par différentes ONG.

Fin septembre, un rapport du Sénat conduit par trois élus (Les Républicains, Union centriste, Parti socialiste), a précisément alerté sur ce point. Intitulé « Quand le mirage de tout monter en gamme fait oublier l’impératif de la compétitivité agricole », il encourage à la reconquête des marchés de produits standards et à la levée des « contraintes » à l’investissement. Du pain bénit pour les industriels comme Duc-Plukon.