
[1/2 — Covid-19 : l’obésité, une maladie environnementale mal traitée] Les personnes grosses sont plus vulnérables aux formes graves de Covid-19. Or, pandémie ou non, les autorités dissimulent les chiffres. Elles sont de surcroît incapables de mener une stratégie de santé pour lutter contre l’obésité. Tout comme d’autres maladies chroniques — asthme, diabète, cancers... —, elle est pourtant en pleine croissance. La faute, entre autres, à la dégradation de l’environnement et aux inégalités socio-économiques.
Interrogées à de nombreuses reprises par Reporterre, ni Santé publique France, ni la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) n’ont été en mesure de fournir des données précises sur la prévalence de l’obésité chez les patients actuellement hospitalisés pour Covid-19. Pas plus que l’Assurance maladie — « débordée » — ou la Direction générale de la santé, malgré nos demandes répétées.
Dans son point épidémiologique hebdomadaire national du Covid-19, Santé publique France détaille pourtant chaque semaine l’évolution des hospitalisations (conventionnelle ou soins critiques) par régions et par âges. L’évolution de la vaccination en France y est également mentionnée. Mais l’évolution de la maladie chez les patients obèses n’en fait pas partie - pas plus que celle des autres maladies chroniques. Il faut chercher dans la montagne des chiffres pour trouver des informations éparpillées et datéees à travers le réseau sentinelle des réanimations. On déniche ainsi, dans l’une des publications de la région Aquitaine, document édité par Santé publique France, qu’au premier semestre 2020, 28 % des patients hospitalisés pour Covid-19 étaient obèses, qu’ils étaient 40 % au deuxième semestre 2020 et 48 % au premier semestre 2021. Mais comment la situation a-t-elle évolué depuis, au niveau national, et quelle est-elle aujourd’hui, à l’heure d’omicron ?
On en sait davantage sur la vaccination de cette population à risque. D’après les données mises à disposition par l’Assurance maladie, 87,8 % des personnes obèses étaient vaccinées début février, quand près de 92,5 % du reste de la population majeure l’était, et 94,9 % des 65-74 ans. Les obèses se situent ainsi à cinq à huit points de moins.
En réanimation, 35 % des patients sont obèses (...)
En cause : une inflammation permanente des tissus qui rend le système immunitaire des patients obèses moins apte à réagir à un antigène étranger. Ils sont pour la même raison plus vulnérables à la grippe H1N1 ou au cancer. Les personnes obèses présentent souvent d’autres maladies associées, ce que l’on appelle des « comorbidités ». (...)
Un suivi pourtant bien orchestré
Face à un risque avéré, et avec l’arrivée d’un nouveau variant, pourquoi nos institutions de santé publique n’informent-elles pas précisément sur la prévalence des personnes obèses hospitalisées ? L’obésité à l’hôpital n’est-elle donc pas suivie ? « Elle l’est ! », répondent, unanimes, les quatre médecins hospitaliers interrogés par Reporterre. La procédure habituelle est que, lors de l’admission du patient à l’hôpital, les professionnels de santé relèvent son identité ainsi que son sexe, son âge, son IMC, ses principales pathologies (diabète, asthme, maladie cardiaque, etc.) et les antécédents médicaux. « La présence de l’obésité est forcément notifiée dans les informations transmises à l’Assurance maladie », dit le Dr Laurent Gerbaud, spécialiste en santé publique au CHU de Clermont-Ferrand. L’IMC fait partie « des données PMSI » (programme de médicalisation des systèmes d’information), nécessaires à la prise en charge des soins par l’Assurance maladie.
Les indicateurs se sont aussi multipliés durant la crise sanitaire. (...)
À l’heure où l’épidémie bat son plein, ces bases de données auraient pu permettre un pilotage plus fin de l’épidémie, estime le Dr Laurent Gerbaud. D’autant qu’on sait que l’obésité touche principalement les milieux les plus précaires qui sont aussi les plus exposés au virus, et que les facteurs environnementaux participent à l’augmentation du nombre de personnes en surpoids.
Le manque de communication du gouvernement est une stratégie délibérée
Pour le Pr François Alla, professeur de santé publique à l’université de Bordeaux, le manque de communication du gouvernement est une stratégie délibérée. L’expert a été co-signataire d’une tribune contre le passe sanitaire l’été dernier. Le Pr Alla observe que le gouvernement mise sa stratégie de santé sur le tout vaccin et élabore sa communication en ce sens. « L’objectif est que tout le monde se vaccine, donc il ne faut surtout pas dire qu’il y a des gens qui ont plus besoin que d’autres de se vacciner », dit-il à Reporterre. Il vient de démissionner du Haut Conseil pour la santé publique (HCSP), dont il était vice-président de la Commission « maladies chroniques ». S’il reconnait que d’autres raisons ont motivé sa démission, il critique fermement la stratégie de santé mise en place.
« Nous n’avons pas du tout eu la sensation d’avoir été accompagnés pendant la crise, mais plutôt d’avoir été stigmatisés », dit Eva Perez-Bello, membre du collectif et infirmière. Elle regrette une certaine ambivalence de la part des politiques. « Nous sommes identifiés comme une population à risque mais cela ne s’est pas répercuté dans la prise en charge médicale à l’hôpital ou dans les centres de vaccination. » À l’instar d’Anne-Sophie Joly, elle dénonce des moyens inadaptés aux personnes grosses à l’hôpital et sources d’inégalités. « Et la crise sanitaire n’a rien arrangé ! insiste-t-elle. Mobiliser une personne grosse en réanimation est compliqué quand il n’y a pas assez de soignants. » Conclusion : « Les personnes grosses sont traitées à la fin. Nous payons le prix de la stigmatisation de la société. » (...)