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Mécanique de la répression hospitalière (et autres)
/Mathieu Bellahsen Psychiatre
Article mis en ligne le 13 juillet 2021
dernière modification le 12 juillet 2021

Avant le covid, partout en France, des soignants se sont soulevés pour lancer l’alerte sur l’état du système de santé et de l’hôpital public. Puis il y a eu le covid, parenthèse de déstabilisation du pouvoir gestionnaire, et réorganisation par les collectifs de travail de l’hôpital. Puis la reprise en main. Plus violente que jamais.

La mécanique répressive se compose de deux éléments clés : la projection et le renversement. L’enjeu est de renverser la charge de l’alerte en accusant les lanceurs d’alerte de ce qu’ils dénoncent. C’est une stratégie projective, au sens psychiatrique du terme : on projette sur l’autre ce que l’on fait soi-même (souvent, sans même le reconnaître).

Et les complicités peuvent facilement se trouver. Quand le pouvoir demande un service pour se protéger, quand il flatte les bas instincts de cour, des alliances étonnantes surgissent et le parfum des règlements de compte d’histoires non traitées se répand comme de la poudre. L’enjeu est de créer un adversaire commun, un bouc émissaire, pour ne pas traiter ce qu’il se passe à l’intérieur en termes de pratiques illégales. (...)

Le fameux théorème apocryphe attribué à Charles Pasqua « créer une affaire dans l’affaire » est une boussole. L’enjeu est de faire oublier les illégalités ou les indignités initiales. Ne pas en répondre. Il faut désormais braquer les projecteurs sur les professionnels qui ont osé troubler la paix interne des établissements et leurs images extérieures. (...)

Dans cette étape, il s’agit de communiquer en interne en montrant tel ou tel établissement comme une victime de personnes mal intentionnées aux ambitions personnelles. (...)

Cette astuce du « diviser pour mieux régner » marche d’autant plus facilement que l’imaginaire social est modelé par la fabrique des images. (...)

La seconde étape est d’instiller le soupçon sur celles et ceux qui ont lancé l’alerte. (...)

La troisième étape est d’instrumentaliser des conflits internes en se servant de la machine bureaucratique comme faiseuse de preuves, à charge. (...)

La quatrième étape est d’instiller un climat de peur à tous les échelons hiérarchiques pour isoler les fauteurs de troubles internes. (...)

La cinquième étape est celle de « l’endossement » des professionnels et de l’irresponsabilisation des dirigeants

Quand des alertes sont lancées, elles sont lancées sur des pratiques et non sur des personnes. Mais les personnes agissant ces pratiques se sentiront bien souvent attaquées personnellement plutôt que de considérer les alertes comme portant sur un système.

Il faut compter sur le penchant des professionnels à se prendre pour cible individuelle de la dénonciation de pratiques. La désagrégation des collectifs de travail renvoie chacun à sa responsabilité individuelle et exonère le système (et donc les dirigeants) de sa responsabilité globale. (...)

L’irresponsabilité des tutelles entraînent la sur-culpabilisation des professionnels. (...)

La sixième étape est celle du « R-établissement » : refaire établissement, reconstruire une image positive à partir d’un silence actif sur les illégalités.

L’ensemble des personnes parties prenantes se mettront d’accord pour enterrer l’affaire selon la stratégie éprouvée du « pas de vague ». (...)

Conclusion

Les établissements se pensent désormais vaccinés contre les fauteurs de troubles. Ces derniers n’auront plus que le choix de partir... s’ils le peuvent. Sinon ils seront placardisés voire en arrêt de travail longue durée avant d’être licenciés pour inaptitude. Les conséquences sur leur vie personnelle, sur leurs familles et leurs proches seront lourdes, très voire trop lourdes.

Mais ce qui est peut-être oublié, c’est que cette mécanique de la répression n’est qu’un premier temps qui en appelle un second.

Le premier temps, celui de l’immunisation des institutions contre les lois, contre les droits et contre les libertés fondamentales.

Le deuxième temps, politique, sera celui du combat entre deux registres d’immunités : immunité contre la loi ou immunité contre les transgressions des lois et des droits ? Combat entre deux registres de mouvements : mécanique ou dynamique.

Et là, rien n’est joué d’avance.

Si à cette mécanique de la répression est opposée une dynamique politique d’ampleur pour la dignité, les droits et les libertés fondamentales, le monde pourra peut-être, un temps soit peu, revenir à l’endroit.