
On aurait pu croire que la gauche, après avoir obtenu la majorité au Sénat, s’emploierait à préfigurer ce qu’elle compte faire quand elle sera au pouvoir, que les urgences politiques et sociales commanderaient qu’elle examine en priorité des proposition de lois de réformes structurelles touchant à l’impôt, au budget de l’Etat, aux conditions de la négociation sociale. Ou bien que la question des institutions retiendrait son attention, celle des modalités de la décentralisation, de l’instauration du conseiller territorial ou de la modification souhaitée par la majorité parlementaire actuelle de la clause de compétence générale des collectivités territoriales. Le Sénat est attendu sur ce terrain et ces questions ont pesé dans le basculement à gauche de la Haute assemblée...
(...) la gauche n’a trouvé rien de plus urgent, rien de plus symbolique, rien de plus identitaire que de mettre en discussion et d’adopter le 17 janvier un projet de loi visant à interdire le port du foulard aux personnes chargées de l’accueil de la petite enfance, notamment les assistantes maternelles à domicile. Autrement dit, alors même que le Sénat se présente traditionnellement comme le bastion de la défense des libertés individuelles, il a voté une loi d’interdiction et d’intrusion dans la sphère privée. Car comment une telle loi pourrait-elle entrer en application, sauf à prévoir une batterie de contrôleurs habilités à constater, à domicile, que la future nounou ou l’assistante maternelle en exercice a bien retiré son foulard ?
A l’unisson d’autres décisions, comme la décision récente du tribunal administratif de Montreuil qui valide l’interdiction faite dans le règlement d’une école primaire d’accompagnement des sorties scolaires par des mamans portant le foulard, une telle orientation signe un engagement résolu contre la pratique ordinaire de l’islam dans les milieux populaires issus de l’immigration. (...)
Une telle obsession est tout à fois grotesque et ridicule : Croit-on qu’agir ainsi limitera l’influence politique d’Ennadha en Tunisie puisque ce péril a été vivement dénoncé ? Cherche-t-on à tenir à distance de la vie commune les musulmans pratiquants ? Assiste-t-on en matière d’islamophobie à une sévère concurrence entre la gauche, l’UMP et le Front national ?
Il faut rappeler que les assistantes maternelles, agréées par les services de la protection maternelle et infantile (PMI), accueillent à leur domicile, dans leur cadre de vie habituel, les enfants qui ne sont pas encore d’âge scolaire, dont les deux parents travaillent et qui n’ont pas pu, ou pas souhaité bénéficier d’un accueil collectif dans une structure dédiée (crèche). Il s’est même trouvé des pédagogues et des psychologues pour juger que cette première sorite hors du cocon familial pouvait avoir des vertus de socialisation, mais ce devaient être de dangereux irresponsables. Comment veut-on dans certains départements à forte population issue de l’immigration, recruter des assistantes maternelles offrant toutes les garanties du non port du foulard ? Estime-t-on que la nounou qui accueille l’enfant à son domicile, lui fournit quelques jouets d’éveil, le nourrit et lui permet de faire la sieste représente un danger de prosélytisme ?
Surtout, il s’agit là d’une ingérence inadmissible de la puissance publique dans la vie privée (...)
Cette initiative malheureuse est symptomatique d’une grave dérive. Impulsée par de prétendus défenseurs de la laïcité qui n’ont en réalité pour seul but, que de pourfendre toute visibilité de l’islam, au mépris de l’esprit et de la lettre de la loi de 1905 qui est d’abord une loi de liberté et garantit la liberté de conscience et la liberté d’exercice du culte, cette proposition a été inconsidérément suivie par une majorité de sénateurs de gauche (grâce à la vigilance d’Esther Benbassa, les élus Europe écologie-Les Verts ne sont pas tombés dans ce piège grossier, tandis que les communistes s’abstenaient), prompts à croire dès qu’on le leur affirme que la laïcité est aujourd’hui profondément menacée en France par les pratiques ordinaires des musulmans ordinaires. Ce qui témoigne d’une ignorance profonde de la manière dont vivent les gens dans les milieux où de fait la pratique de l’islam est effectivement répandue, des valeurs de liberté auxquelles ils sont attachés et d’un empressement à se rallier à une lecture culturaliste de la question sociale.
La Pression du Front national est bien évidemment particulièrement sensible dans ce genre de dérive. Est-il donc si difficile d’y répondre en invoquant le véritable principe de la laïcité, les valeurs de liberté ? (...)