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AfriqueXXI
Instrumentalisation. À BRAZZAVILLE, L’IMPUNITÉ DÉGUISÉE EN ANTICOLONIALISME
#Brazzaville #dictateurs
Article mis en ligne le 8 septembre 2025

Instrumentaliser la décolonisation et invoquer une forme de (néo)souveraineté pour justifier la mise sous tutelle des espaces civiques et de la justice (en les accusant d’être à la solde de l’ancien colonisateur) est devenu un sport national dans quelques pays qui ont connu des coups d’État militaires ces dernières années. Invoquer les ingérences étrangères est une autre manière, aussi, de faire durer des transitions militaires ad vitam æternam, malgré les promesses.

La « technique » n’est pas l’apanage des dictateurs en herbe. Ceux-ci sont bien inspirés par d’autres, qui la manient avec cynisme depuis longtemps. C’est le cas de leur aîné Denis Sassou-Nguesso, l’autocrate de Brazzaville âgé de 81 ans, dont plus de quarante cumulés au pouvoir : il s’acharne sur les voix discordantes, se compare à Paul Biya pour justifier sa longévité (à 92 ans, celui-ci dirige le Cameroun depuis 1982 sans discontinuer et se présente de nouveau en octobre), et s’en prend régulièrement à la justice française, qui enquête sur des membres de son clan dans le cadre de l’affaire des biens mal acquis.

Le 22 novembre 2024, révèle Mediapart dans une enquête sur des flux suspects entre Bolloré et une société congolaise (78,8 millions d’euros entre 2014 et 2023 qui auraient bénéficié à Wilfrid Nguesso et à son entourage), Denis Sassou-Nguesso s’est fendu d’un courrier incendiaire à l’attention du juge français Serge Tournaire. (...)

Denis Sassou-Nguesso entretient des rapports ambivalents avec l’ancien colonisateur. Dans un documentaire hagiographique, Denis Sassou-Nguesso, le pouvoir et la vie (2016), l’un de ses camarades de classe affirme que le futur putschiste (il participe au coup d’État contre Alphonse Massemba-Débat en 1968 et renverse Pascal Lissouba en 1997) avait épousé la cause indépendantiste au collège. Mais dans ce film, l’intéressé n’a aucun mot à ce sujet, laissant planer le doute sur la réalité de sa position contre la puissance coloniale. Il s’engage dans une armée formée par les Français (une partie de cette formation s’est déroulée en Algérie durant la guerre d’indépendance). Bien plus tard, dans un entretien accordé à un journal français d’extrême droite, le 8 mars 2023, il affirmait, un brin nostalgique : « Tout n’a pas été négatif dans la colonisation »...

Mais alors que les preuves de détournements de fonds publics s’accumulent contre des membres de sa famille (sa femme, ses neveux, son fils…), il ne cesse d’accuser la justice française d’acharnement et donc d’attitude néocoloniale. Selon lui, elle « [piétine] les droits et les usages ». Ce qui ne l’empêche pas de rendre visite, le 23 mai, au président français Emmanuel Macron. Une autre illustration de sa position ambiguë avec la France, son passé, et la loi en général.

Ceci expliquant peut-être cela, à Brazzaville, il règne en maître et se soucie peu de la justice.

(...)

Le 30 août, à l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparition forcée, le CAD a déclaré porter plainte avec constitution de partie civile auprès du tribunal de grande instance de Brazzaville contre des responsables de la sécurité pour la disparition des quatre jeunes hommes. Le CAD vise notamment les infractions de torture, d’arrestation arbitraire, de détention illégale, de séquestration, de violences physiques et psychologiques, d’obstruction à la justice et de dissimulation de preuves. Reste à savoir si la justice, si elle n’est pas entravée, ne sera pas accusée par le pouvoir et ses sbires d’être dysfonctionnelle, et pourquoi pas à la solde de l’ancien pouvoir colonial.