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La manipulation de l’identité nationale : du bouc-émissaire à l’ennemi intérieur
Article mis en ligne le 21 novembre 2011
dernière modification le 17 novembre 2011

Le sociologue Saïd Bouamama vient de publier, aux éditions du Cygne, un recueil d’articles écrits depuis 1991 autour de l’identité nationale. Il travaille déjà sur deux autres projets. Un premier ouvrage, dans le cadre du cinquantenaire des indépendances africaines, vise à mieux faire connaitre les efforts de théorisation de penseurs africains tels que Sankara, Lumumba ou Fanon. Un second ouvrage s’annonce lui comme un « glossaire des dominations », tentant de souligner les enjeux de la question. En attendant ces prochaines publications, le sociologue nous a reçus chez lui, dans le quartier populaire de Fives, à Lille, pour revenir sur son dernier ouvrage. Interview.

(... ) Il faut avoir en tête les différences notables qu’il y a entre l’immigration contemporaine et les immigrations antérieures.

Pour simplifier, entre l’immigration des sénégalais ou des maghrébins aujourd’hui et celle des portugais hier. Dans nos sociétés, toutes les immigrations ont eu une fonction de bouc-émissaire dans des moments de troubles politico-économiques.

Des forces politiques, généralement à l’extrême droite, mais également dans la bonne droite et à d’autres moments à gauche, les ont mises en avant pour masquer d’autres questions, pour voiler des enjeux, pour détourner des colères.

Cette fonction de bouc-émissaire a toujours existé, toutes origines confondues. On peut même dire que pour les immigrations du passé (polonais, portugais, italiens…), la violence a parfois été encore plus grande que pour les immigrations post-coloniales. Je ne citerai que l’exemple du massacre d’Aigues-Mortes, où se déroule pendant 3 jours une véritable chasse mortelle à l’italien par les citoyens locaux. Bien sûr, il y a eu le massacre du 17 octobre 1961, orchestré par l’Etat, mais on n’assiste pas encore à une chasse collective aux maghrébins. La fonction de bouc-émissaire est donc transversale depuis que la société française connait l’immigration.

La nouveauté, c’est que pour la première fois, ce traitement xénophobe ne touche plus simplement les nouveaux arrivants, mais aussi leurs enfants qui sont nés et ont grandi ici. (... )

J’ai écrit un article il y a deux ans, « La France, autopsie d’un mythe national », pour tenter de penser et théoriser tous ces débats sur la nation et l’identité nationale. Mais je pensais intéressant de montrer que ces modes de pensée ne sont pas apparues d’un seul coup, avec Sarkozy. C’est bien une construction historique, par petites touches, qui a conduit la logique à devenir dominante et à apparaître comme naturelle. C’est parce que l’on n’a pas réagi de manière assez forte quand on a commencé à modifier le Code de la nationalité qui portait déjà, il y a 20 ans, ce retour de l’essentialisme. On a perçu des évolutions négatives, mais on ne les a jamais considérées comme un véritable retour à l’essentialisme. Avec des articles datés, je voulais montrer cela, et expliquer comment on en est arrivés à la situation actuelle. Les sociétés fonctionnent un peu comme ces grenouilles que l’on plonge dans une eau que l’on réchauffe progressivement, et qui ne perçoivent pas le réchauffement, jusqu’à ce qu’elles meurent, ébouillantées. Au moment où l’on devrait se réveiller, il est trop tard, car on a laissé se construire cette logique-là.

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