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le monde diplomatique
La gauche ne peut pas mourir
par Frédéric Lordon, septembre 2014
Article mis en ligne le 30 novembre 2014
dernière modification le 25 novembre 2014

Malgré l’échec de sa politique libérale, le président François Hollande n’en démord pas : « Il n’y a pas d’échappatoire. » Redoutant de devoir bientôt payer le prix d’une telle obstination, un nombre croissant de socialistes et d’écologistes réclament un coup de barre à gauche.

Dans le débat public ne circulent pas que des sottises : également des poisons. De toutes les navrances complaisamment relayées par la cohorte des experts et éditorialistes, la plus toxique est sans doute celle qui annonce avec une gravité prophétique la fin des catégories « droite » et « gauche », et le dépassement définitif de leur antinomie politique. On n’a pas assez remarqué la troublante proximité formelle, et la collusion objective, du « ni droite ni gauche » de l’extrême droite et du « dépassement de la droite et de la gauche » (« qui ne veulent plus rien dire ») de l’extrême centre. (...)

Etonnante ironie qui veut qu’on pense identiquement dans le marais et dans le marécage, le second poursuivant son fantasme de réconciliation unanimitaire sous le primat de l’identité nationale éternelle, le premier sous l’égide du cercle de la raison gestionnaire telle qu’elle fait « nécessairement » l’accord général — et il faudra sans doute encore un peu de temps pour que le commentariat médiatique, qui défend avec acharnement cette unanimité-là, prenne conscience de ce qu’il a formellement en commun avec ceux qui défendent l’autre.

Passe alors un premier ministre qui vaticine que « oui, la gauche peut mourir (1) », trahissant visiblement sous la forme d’une sombre prédiction son propre sombre projet, et la cause semble entendue. A plus forte raison quand lui emboîtent le pas quelques intellectuels : « La gauche est déjà morte ; ce qui en survit est soit pathétique, soit parodique ; si on s’occupait d’autre chose ? », déclare Régis Debray au Nouvel Observateur (3 juillet 2014). Mais ce sont deux erreurs en une phrase : l’une qui confond la gauche, comme catégorie politique générale, avec ses misérables réalisations partidaires, l’autre qui, par paraphrase, devrait remettre en tête que si tu ne t’occupes pas de la gauche, c’est la droite qui s’occupera de toi.

Il y a de quoi s’étonner en tout cas que « gauche » soit ainsi implicitement rabattu sur « Parti socialiste », parti dont il est maintenant solidement avéré qu’il n’a plus rien que de droite. Et s’il est vrai que ce dernier peut mourir — on pourrait même dire : s’il est souhaitable qu’il meure —, la gauche, elle, est d’une autre étoffe et, partant, d’une autre longévité. Car elle est une idée. Egalité et démocratie vraie, voilà l’idée qu’est la gauche. Et il faut être aveugle, intoxiqué ou bien dépressif pour se laisser aller à croire que cette idée est passée : non seulement elle n’a pas fini de produire ses effets, mais en vérité elle a à peine commencé. Bref, elle est encore entièrement à faire entrer dans la réalité. (...)

égalité et démocratie vraie ne peuvent être réalisées quand la société est abandonnée à l’emprise sans limite du capital — compris aussi bien comme logique sociale que comme groupe d’intérêt. (...)