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La compétitivité, ou la loi des multinationales
Article mis en ligne le 24 février 2017

La « compétitivité » est désormais sur toutes les lèvres, omniprésente dans le débat public. Sans qu’on se donne la peine de se demander : d’où vient, au juste, cet impératif de compétitivité ?

(...) La compétitivité s’est imposée comme un objectif ultime, un modèle « gagnant-gagnant » pour les entreprises, les salariés, les gouvernements... Une potion magique qui ne s’applique pas seulement à l’économie, mais à la société toute entière. Bien entendu, sur le plan économique, il faut plus de libre-échange, moins de régulation, moins d’impôts pour les (grandes) entreprises, moins de droit du travail, moins de cotisations sociales… Mais il faut aussi mettre l’école, la recherche, les services publics, l’écologie, la culture, nos villes, nos régions... et nous-mêmes au service de la compétitivité.

Sauf que, sauf que… appliquées depuis plus de 20 ans, ces bonnes recettes n’ont jamais tenues leurs promesses. Loin d’apporter des perspectives pour les économies européennes, elles ont préparé la crise financière de 2008 et elles alimentent aujourd’hui la stagnation économique [1].

Les privatisations, dérégulations, et autres flexibilisations du marché du travail, menées au nom de la sacro-sainte compétitivité semblent finalement aboutir aux mêmes conséquences : les bénéfices de quelques-uns ne cessent d’enfler, au détriment des conditions de vie de la majorité. Alors, quid de la compétitivité ? D’où vient cette exigence ? Un petit retour en arrière s’impose. (...)

C’est pourtant à partir des années 80 que prend forme une véritable doctrine de la compétitivité, sous l’impulsion décisive de la table ronde des industriels européens (European Round Table ou ERT), puissant lobby industriel rassemblant quelques 45 dirigeants de grands groupes européens [3].

La table ronde se donne pour objectif d’influencer la structure même de la construction européenne, pour la rendre favorable au développement de l’industrie. Elle est bien implantée dans les réseaux de pouvoir bruxellois puisque fondée à l’initiative de deux commissaires européens dont Etienne Davignon, futur dirigeant… de la Société générale de Belgique [4].

Ses premiers succès ne se font pas attendre. Le lobby industriel participera activement à l’élaboration de l’Acte unique européen, qui détaillait les barrières commerciales et réglementaires à supprimer pour permettre l’émergence du marché unique. Le traité se basait sur le Livre Blanc publié par la commission Delors en 1985. Ce document était, comme le reconnurent ses auteurs, lui-même directement inspiré du rapport « Europe 1990 » rédigé par le lobby industriel [5].

Le marché unique sera un premier pas dans l’imposition de la compétitivité comme impératif catégorique [6]. Ce n’est qu’un début (...)

la table ronde appelle à plus d’intégration européenne et de nouveaux pouvoirs pour la Commission, et celle-ci, de son côté, contribue à promouvoir la doctrine des industriels au sommet de l’agenda des politiques européennes [8].
Pas d’alternative à la compétitivité

La stratégie de Lisbonne proposée par la Commission et adoptée en mars 2000 apparaît comme l’aboutissement de cette symbiose entre la Commission et le lobby industriel. Elle sacre, pour 10 ans, la compétitivité comme objectif n°1 de l’Union européenne, appelée à devenir « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010 ».

Pour les lobbies industriels comme l’ERT, le rêve se réalise : l’Union européenne, dévouée toute entière au bien-être des grands groupes privés. Cette orientation sera confirmée en mars 2010 avec la stratégie « Europe 2020 » qui reprend, avec quelques ajouts, les recettes pro-compétitivité promues dans le cadre de la stratégie de Lisbonne [9].

Dans le cadre de cette croisade pour la compétitivité, la commission préconise d’accroître la concurrence dans le marché intérieur. Au programme, la déréglementation des marchés, et notamment du marché des services, une politique de libre-échange exacerbée, et la libéralisation et privatisation des services publics, notamment l’énergie et le transport. Autant de mesures promues tout au long du mandat de François Hollande. (...)

Dans le même temps, la mise en place de la monnaie unique empêche tout ajustement par dévaluation de la monnaie. (...)

Les gouvernements doivent par ailleurs renoncer à toute politique budgétaire ambitieuse : obligés d’emprunter sur les marchés financiers, ils doivent désormais faire preuve de « rigueur » budgétaire. Et plus question d’augmenter les impôts… là encore, compétitivité oblige.

Dès lors, comme disait Margaret Thatcher, « il n’y a pas d’alternative ». (...)

A l’échelle des Etats, des régions, des villes, les élus deviennent des « managers », et leurs performances sont comparées à l’échelle européenne (le « benchmark ») pour déterminer les « bonnes pratiques ». A l’aune... de la compétitivité, bien sûr. C’est le triomphe du nouveau management public, qui se traduit en France par la RGPP (revue générale des politiques publiques).

La compétitivité s’impose partout (...)

En voyant, encore aujourd’hui, la quasi-totalité de la classe politique sauter comme un cabri en criant « compétitivité ! compétitivité ! », on ne peut s’empêcher de se dire que la formule a bien fonctionné. Pourtant à bien y regarder, il est pourtant clair que cette équation magique est truquée.

Tout d’abord la compétitivité créé structurellement du chômage. La centralisation de la production et de la distribution catalysées par le Marché unique ont permis aux multinationales de diminuer les coûts en réduisant considérablement leur main-d’œuvre. Les mesures de concurrence, le libre-échange et la dérégulation du marché du travail censément prises pour stimuler la « compétitivité » ne font qu’accentuer cette tendance. (...)

De fait, le dogme de la compétitivité exclut toute mesure structurelle qui pourrait être prise pour endiguer le chômage : la modération salariale, la rigueur budgétaire pèsent sur l’activité et maintiennent un taux de chômage élevé. Dès lors, la « lutte contre le chômage » mise en œuvre par les gouvernements européens relève au mieux du trompe l’œil. Au pire, elle contribue à flexibiliser davantage les conditions de travail, à développer les contrats précaires et à accroître les contraintes sur les chômeurs à travers « le durcissement des critères d’éligibilité, la réduction des montants et des durées d’indemnisation, [et] le renforcement des contrôles [18] ».

La conclusion est donc claire. La compétitivité, ce n’est pas l’emploi : c’est le chômage, la précarité, et l’explosion des inégalités. Tout ce que l’on nous a imposé depuis plus de vingt ans.

Un modèle de société (...)

A mesure que les prétendus « remèdes » prouvent leur inanité, on les prescrit avec d’autant plus de force. Georges Pérec avait donné une image qui pourrait illustrer ce modèle : une île, W, où les habitants sont des athlètes contraints à la compétition et qui deviennent obsédés par la victoire - condition de leur survie. Une société toute entière tournée vers la « compétitivité »... où l’on découvre finalement que les performances des athlètes sont dérisoires :

« Il faut voir fonctionner cette machine énorme dont chaque rouage participe, avec une efficacité implacable, à l’anéantissement systématique des hommes, pour ne plus trouver surprenante la médiocrité des performances enregistrées : le 100 mètres se court en 23"4, le 200 mètres en 51" ; le meilleur sauteur n’a jamais dépassé 1,30m [19]. »

La farce a assez duré. Il est grand temps d’en finir avec la « compétitivité », et d’inventer un autre imaginaire... plus vivable.