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Marianne
L’Ifrap d’Agnès Verdier-Molinié : faux institut de recherche et vrai lobby ultra-libéral
Article mis en ligne le 15 mars 2018

Agnès Verdier-Molinié squatte les écrans pour parler d’économie, auréolée d’une réputation de chercheuse à l’Ifrap. Une prouesse extraordinaire pour une fondation ultra-libérale très éloignée de toute rigueur scientifique, experte du lobbying au Parlement, arrosée par de mystérieux mécènes et noyautée par des chefs d’entreprise...

(...) Depuis le début de l’année, la directrice de la Fondation Ifrap est sur les antennes presque un jour sur deux : LCI trois fois, France 5, M6, Canal+, Arte, Europe 1, RTL, RMC, France Inter, Sud Radio, BFM Business, I24news, le service vidéo du Figaro (trois fois)… Sur son site web, l’institution se félicite d’ailleurs de cette aura impressionnante : « En 9 ans, les travaux de la Fondation sont devenus une référence pour les médias. » Mais de quels travaux s’agit-il ?

Sur les plateaux, on s’efforce la plupart du temps de dérouler le titre d’Agnès Verdier-Molinié au long, pour que l’on comprenne mieux de quoi il s’agit : « Directrice de la fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques ». Un intitulé soporifique… mais qui a le bon goût de suggérer qu’il s’agit là d’une véritable organisation de recherche. (...)

Selon ses statuts, le but de l’Ifrap est d’ailleurs en premier lieu d’« effectuer des études et des recherches scientifiques sur l’efficacité des politiques publiques, notamment celles visant la recherche du plein emploi et le développement économique ».

229 notes, dont seulement 2 rédigées par un chercheur (...)

Loin de pouvoir compter sur un « réseau de près de 150 chercheurs, contributeurs et experts qui participent à la conception de (ses) études » comme elle le revendique, l’Ifrap repose en réalité sur un nombre réduit de contributeurs, qui n’ont jamais publié d’article scientifique.

Alors qui, sont-ils ? En 2017, on retrouve seulement 20 signataires pour tous ses travaux. Près de 80% d’entre eux sont rédigés par une équipe restreinte de six personnes, qui correspond aux permanents de la Fondation, salariés pour leur immense majorité. Parmi eux, des titulaires de Master 2 en affaires publiques, en gestion, un ex-avocat, un ancien consultant… mais aucun diplômé d’économie. Agnès Verdier-Molinié elle-même est diplômée d’histoire contemporaine. Ce qui n’empêche aucunement d’être compétent mais incite à relativiser les prétentions scientifiques de la Fondation. (...)

Dès 2011, Franck Ramus, directeur de recherche en sciences cognitives au CNRS et professeur à l’ENS, s’interrogeait sur son blog sur le caractère « scientifique » des travaux de l’Ifrap. Il expliquait d’abord que la qualité de « chercheur » en économie répond à des critères bien précis (...) L’universitaire relevait donc que les « chercheurs » auto-proclamés de l’Ifrap n’ont jamais publié d’article scientifique (...)
Il en déduisait que l’activité de l’Ifrap se rapprochait plus du lobbying que de la recherche (...)

En réalité, sous ce vernis scientifique, l’Ifrap cherche surtout à défendre une idéologie ultra-libérale. Si les think tanks cèdent souvent à la tentation de porter des idées déjà arrêtées plutôt que de tenter d’élaborer une réflexion consensuelle, l’organisation d’Agnès Verdier-Molinié pousse le curseur particulièrement loin. (...)

es notes se résument souvent à un commentaire sur un rapport ou une annonce économique, assorti d’une proposition de réforme, invariablement ultra-libérale.

Dans cette optique, les chiffres maniés par cette organisation fondée en 1985 par le chef d’entreprise Bernard Zimmern sont très souvent les mêmes. Le taux des prélèvements obligatoires et le niveau de la dépense publique en France - particulièrement hauts - sont martelés, agrémentés de comparaisons internationales peu flatteuses. D’autres chiffres qui pourraient nourrir le contexte, comme ceux de l’évasion fiscale ou des écarts de revenu, ne sont pratiquement jamais évoqués.

Seize études sur l’ISF, zéro sur la fraude fiscale (...)

Plus globalement, hormis cette devanture chic de la "recherche scientifique", l’Ifrap fonctionne comme un groupe de pression lambda. Elle propose par exemple un programme législatif de 15 réformes économiques, à la manière d’un parti politique. Parmi elles, l’augmentation de l’âge du départ à la retraite, un référendum sur la fin de la fonction publique, la fin des 35 heures, des baisses massives des dépenses publiques et des impôts. Un agenda que ne renierait pas un lobby anti-impôts comme Contribuables associés, créé en 1990, notamment par Bernard Zimmern... le fondateur et président d’honneur de l’Ifrap.

Lobby au Parlement et mystérieux mécènes

Preuve ultime de sa véritable nature, l’organisation libérale s’est récemment définie elle-même en tant que lobby. C’est que la loi imposait aux organisations qui souhaitent faire du lobbying au Parlement de s’enregistrer avant le 31 décembre 2017... Le 20 décembre 2017, l’Ifrap s’est donc inscrite au registre des représentants d’intérêts au Parlement, publié par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Si ces pratiques sont parfaitement respectables dès lors qu’elles sont transparentes, il demeure un hic : on ne sait pas par qui elles sont financées. (...)

En 2016, l’Ifrap a ainsi touché la somme impressionnante de 1,34 million d’euros de dons privés. Venant d’où ? On ne le sait pas, étant donné que l’Ifrap ne donne aucune indication sur ses mécènes. Pour ces derniers, le bénéfice est maximum. Ils peuvent pousser leurs idées, tout en restant dans l’ombre. Auréolée de l’aura "scientifique" que se plaît à entretenir l’Ifrap, l’idéologie libérale qu’ils soutiennent est défendue sur tous les plateaux télé. Leurs idées sont également poussées directement auprès des parlementaires par Agnès Verdier-Molinié, qui enfile alors sa casquette de représentante d’intérêts.

Grâce à la reconnaissance d’"utilité publique" accordée par un décret de François Fillon en 2009, ces mystérieux financeurs peuvent même soutenir ce lobby... tout en bénéficiant d’une remise de 66% de leurs dons sur leurs impôts sur le revenu ou de 75% de leur IFI (le nouvel ISF). A la différence d’un parti politique, ces dons ne sont d’ailleurs aucunement limités à 7.500 euros par an. Le bon plan ! (...)

Quand on observe la gouvernance de l’Ifrap, on remarque surtout la présence de hauts cadres du secteur privé français. Sur les onze membres actuels de son conseil d’administration (hormis le commissaire du gouvernement, qui représente l’Etat), on dénombre… neuf dirigeants ou retraités d’entreprises françaises importantes.

108ème fortune française

Parmi eux, quelques mastodontes. (...)