
Journaliste et réalisateur, Jean-Pierre Canet signe « Irak, destruction d’une nation », une série documentaire diffusée fin janvier sur France 5. Dans un entretien publié dans notre magazine La Chronique de février, le réalisateur revient sur ce travail d’enquête minutieux racontant la lente agonie du pays.
Les conflits en Irak, on sait déjà un peu tout, non ?
Non seulement on ne sait pas tout, mais on commence juste à comprendre l’ampleur des conséquences de la destruction de la nation irakienne. Le terrible destin de l’Irak moderne a produit et produira des effets durables dans de nombreux pays. Il joue un rôle majeur dans les rapports actuels de l’Occident et du monde arabo-musulman. Et puis, jusqu’à présent, nous manquions de recul pour produire les premières analyses historiques sur un évènement aussi important que l’invasion américaine de 2003. Ce qui s’est passé en Irak depuis quarante ans a des conséquences directes en France, aux États-Unis, pas seulement à Bagdad ou à Mossoul.
Quelle est l’ambition de cette série ?
J’aimerais que ce travail documentaire nous permette de comprendre qu’un choc de civilisations, ça se fabrique. La haine et la guerre ne sont pas ancrées dans la nature des gens, ce sont des décisions politiques qui les provoquent et les alimentent. Le premier kamikaze du 13 Novembre 2015 n’est ni belge, ni français, il est irakien. Nous avons tiré ce fil pour comprendre pourquoi un jeune Irakien a pu commettre un attentat en France, pourquoi l’Irak a pu produire Daech. Nous en sommes venus à expliquer un long processus de plus de quarante ans de descente aux enfers d’un pays, à deux doigts d’atteindre le niveau d’un pays développé dans les années 1970 et qui a sombré, un peu plus à chaque décennie. La politique occidentale, et surtout américaine, vis-à-vis de l’Irak porte une responsabilité majeure dans ce processus. Sans nier celle de Saddam Hussein, on peut parler d’un acharnement sur l’Irak et sur les Irakiens. Nous avons voulu également montrer comment les Irakiens ont vécu cet état de guerre quasi permanent. Nous avons souhaité que leurs témoignages soient le fil rouge du récit.
Quel est ce processus de destruction ?
On a joué avec ce pays, avec ce peuple, en faisant d’abord de Saddam Hussein un allié. Les grandes puissances ont considéré qu’il était le seul bouclier efficace contre la révolution islamique chiite d’Iran. On ne voulait alors voir que le Saddam laïc, modernisateur de son pays et non le dictateur qu’il était. Forcément quand on alimente en armes et en soutien diplomatique un petit tyran, il finit par se voir pousser des ailes et se prendre pour un grand leader historique. Se croyant soutenu par les Occidentaux, Saddam Hussein a envahi le Koweït [août 1990 ndlr]. Et, au lieu de le ramener à la raison, au lieu de déployer un véritable effort diplomatique, tout en le menaçant bien sûr, on a choisi la guerre. Là où une erreur majeure a été commise, c’est qu’en voulant détruire Saddam Hussein, le monde occidental a puni le peuple irakien. Après deux mois de bombardements intenses les infrastructures civiles ont été détruites, à quoi s’ajoutent douze ans d’embargo qui ont saigné à blanc les Irakiens. C’est un processus très important d’humiliation de ce peuple. (...)
Au lieu de se retourner contre Saddam Hussein, les Irakiens ont resserré les rangs autour de lui. (...)
La série documentaire entend comprendre et expliquer. Pour répondre à un ancien Premier ministre français, expliquer ce n’est pas excuser. Expliquer c’est plutôt tenter d’éclairer pour éviter de reproduire les mêmes erreurs.
Une guerre basée sur des mensonges, c’est aussi destructeur ?
Pour justifier son invasion de l’Irak, l’administration Bush fils a industrialisé le mensonge. Aucune des raisons sur lesquelles se sont appuyés les États-Unis pour déclencher l’invasion de 2003 n’est justifiée par des faits et des preuves. C’est notamment à cause de cela qu’aujourd’hui la parole politique, et celle des grands médias, sont remises en cause. Il ne faut pas s’étonner de crises démocratiques quand on permet à un président et à son administration de mentir, à son peuple et à la terre entière, pour justifier leurs actions militaires. (...)
Un génocide a été commis contre les Kurdes en 1988. Le bilan se situe entre 80 000 et 100 000 morts. Les ventes de composants chimiques à l’Irak par des entreprises occidentales à cette époque ont encore des conséquences aujourd’hui. Le régime de Saddam Hussein est clairement responsable, mais un certain nombre de dirigeants d’entreprises occidentales devraient avoir à rendre des comptes sur les conséquences de leurs actes. (...)
En intervenant en Irak, les américains avaient-ils pensé à l’après ?
« Le général Petraesus l’a dit devant ma caméra : "nous n’avions pas de plan". Quand on ne travaille pas la subtilité du pays, ça provoque un chaos, fatalement. »@jpcanet pic.twitter.com/O2i2wgf81k
— Amnesty International France (@amnestyfrance) October 9, 2021