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Mediapart
Deux Français sur trois ont préféré s’abstenir
Article mis en ligne le 21 juin 2021

Le premier tour des élections régionales et départementales a enregistré une abstention record de plus de 65 %. Elle favorise les sortants de LR et du PS, marginalise le parti présidentiel, et casse la dynamique du RN.

C’est la grande gagnante de ce scrutin. Et elle rend caduque toute analyse conclusive sur les forces en présence. Dimanche 20 juin, l’abstention a atteint un nouveau record au premier tour des élections régionales et départementales : entre 66,1 % et 68,6 % des inscrits, selon les premiers résultats (contre 49,5 % aux départementales et 50,02 % aux régionales, en 2015). En clair, moins d’un électeur sur trois s’est déplacé aux urnes. Les responsables politiques qui se sont exprimés dans la soirée se sont unanimement inquiétés de cette situation. Sans pour autant en tirer les enseignements politiques.

Car cette abstention massive vient d’abord les sanctionner, eux. Eux qui pendant des semaines ont fait campagne sur des sujets très éloignés des enjeux de ce scrutin, à commencer par la sécurité, qui n’est pas une compétence de la région, mais dont beaucoup de candidats avaient fait leur priorité. Polémiques, tractations politiciennes, omniprésence des sondages… Les débats ont été dictés par le seul agenda du Rassemblement national (RN) face auquel Emmanuel Macron se présente comme l’unique rempart, dans la perspective de 2022.

« Je ne tirerai aucune conclusion nationale de ces élections qui sont des élections locales », avait prévenu le président de la République, lors du dernier conseil des ministres, excluant par principe un éventuel remaniement. On le comprendrait presque au regard des scores enregistrés dimanche soir par La République en marche (LREM), qui ne réussit même pas à se hisser à la seconde place quelque part. Alors qu’elle s’imaginait en arbitre d’entre-deux-tours, la majorité présidentielle n’est pas en mesure d’imposer une fusion de listes. Du jamais vu pour un parti au pouvoir. (...)

Cette faible participation ne pourra pas non plus être analysée comme un coup des terrasses, du soleil, de la pluie ou de l’attrait de la canne à pêche. À un tel niveau, la désertion des électeurs en dit bien plus long sur la tentation de « grève civique » manifestée par de nombreux citoyens, que sur la météo. Parmi ceux qui ont snobé les bureaux de vote, beaucoup votaient autrefois avec discipline, mais sont désormais lassés du jeu politique.

Le découpage des cantons en décalage avec les bassins de vie, le manque d’identification dans des régions parfois gigantesques et la défiance vis-à-vis du personnel politique sont autant d’ingrédients qui ont macéré des années durant, conduisant à ce résultat désastreux. Le tout sur fond de crise sanitaire. « On avait la même configuration pour les municipales mais au moins dans sa commune, on connaît les candidats. Là, le paysage politique était illisible », indique Patrick Lehingue.

« À ce niveau d’abstention, on peut s’attendre à de forts effets de mobilisation différentielle », prédisait son collègue politiste Vincent Tiberj, sur Twitter, quelques minutes après l’annonce des résultats du premier tour. « Plus la participation recule, plus les urnes prennent un accent, celui des groupes les plus favorisés dans la société », complétait-il. C’est d’ailleurs une des premières confirmations de ce scrutin : l’abstention ne porte pas chance au RN, qui a multiplié les contre-performances, n’ayant pas réussi à mobiliser son électorat. (...)

« Coup de semonce », « effondrement », « catastrophe »... À droite comme à gauche, les responsables politiques ont commenté avec force les taux d’abstention enregistrés dimanche soir. « Combien de temps la démocratie peut-elle survivre sans le peuple ? », s’est interrogé le député La France insoumise (LFI) François Ruffin, sur Twitter, reprenant en partie les mots de Jean-Luc Mélenchon. « L’abstention est forte, l’extrême droite toujours trop haute, voilà le bilan de cette soirée électorale », a aussi résumé le secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) Julien Bayou.

Le vice-président LREM de l’Assemblée nationale, Hugues Renson, a pour sa part estimé que « quand deux électeurs sur trois ne se déplacent pas à un scrutin, ce n’est pas du désintérêt ou la peur du virus, c’est en soi un acte politique, et ce n’est certainement pas à relativiser ». « Personne ne peut sortir le champagne ce soir, le niveau abyssal de l’abstention doit tous nous interpeller », a indiqué le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. C’est « particulièrement préoccupant », a ajouté Gérald Darmanin.

Les perdants de l’opposition ont également critiqué les conditions de mise en œuvre de ce double scrutin, alors qu’à Marseille (Bouches-du-Rhône), par exemple, une trentaine de bureaux de vote n’ont pas pu ouvrir, faute d’assesseurs en nombre suffisant. Les mêmes ont aussi rappelé la pagaille sur la propagande électorale observée lors des dernières semaines avant le scrutin. Dans plusieurs départements, les professions de foi n’ont pas été correctement distribuées, privant les citoyens de l’information nécessaire pour se positionner.

Partout, l’abstention a favorisé les sortants, au détriment de tous les pronostics sondagiers, qui promettaient des scores historiques au RN. (...)

Mais plutôt que de remettre en question ses choix politiques, la majorité présidentielle a commencé à chercher d’autres solutions. La présidente LREM de la commission des lois de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, a ainsi détaillé sur Europe 1 quelques-unes de ses propositions pour lutter contre l’abstention. Parmi elles : tenir le même jour la présidentielle et les législatives d’une part ; et réunir les régionales, départementales et municipales d’autre part. « Simplification et clarification de la vie démocratique », a-t-elle commenté. Supprimer les élections pour éviter l’abstention, ce serait effectivement plus simple. Mais pas forcément plus démocratique.