
Les contrôleurs dans les trains régionaux sont souvent les seuls agents de la SNCF que les usagers rencontrent. Accueillir les clients, faire respecter les règles de sûreté, contrôler l’état des matériels, informer en cas d’incidents... Des missions de services variées qui pourraient être amenées à disparaitre. Depuis la rentrée, certains trains circulent sans contrôleurs à bord en région Rhône-Alpes. Des cheminots redoutent une dégradation de la sécurité, et des conditions de travail.
« Bonsoir, vérification des titres de transport s’il vous plait. » Pour bien des usagers, voici la facette la plus connue du métier : le contrôle des billets. Ce n’est pourtant qu’une de leurs multiples missions. Michel [1] est contrôleur depuis dix ans – ou plutôt « agent du service commercial trains » (ASCT) selon l’appellation interne de la SNCF. Il renseigne, aide les voyageurs en difficulté et à mobilité réduite, informe en cas de situation perturbée... Outre ses missions de service aux voyageurs, Michel doit surtout « sécuriser » le train. « Avant le départ, je fais le tour en vérifiant qu’il n’y a pas de problème pour les individus ou sur le matériel : vitre cassée, portes verrouillées, climatisation bien réglée... ». S’il repère des anomalies pouvant mettre en danger la sécurité des personnes, l’autorisation de départ du train est différée jusqu’à la remise en conformité.
« Lors de ma formation, c’est la sûreté de circulation qui a été mise en avant, se souvient Michel. On nous a enseignés que l’essentiel était que tout le monde arrive en vie et que ça se passe bien. » Jusqu’à maintenant, un train régional ne pouvait pas circuler sans la présence à bord d’un contrôleur et d’un conducteur. La SNCF vient d’en décider autrement. Depuis le 29 août, certains trains régionaux (TER) de Rhône-Alpes circulent sans contrôleur à bord, en particulier sur les lignes fréquentées par les abonnés et d’un trajet inférieur à une heure [2].
Le métier de contrôleur réduit à la lutte anti-fraude (...)
Pour ces trains-là, l’entreprise a déployé un nouveau dispositif de contrôle prenant la forme d’équipes mobiles. Une évolution du métier qui suscite beaucoup d’interrogations et de craintes, du côté des contrôleurs comme des usagers. La SNCF met en avant une triple ambition : « La satisfaction des clients, la lutte contre la fraude, la maitrise des coûts ». Les équipes mobiles devront en priorité vérifier les titres de transport en gare, avant que les usagers ne montent dans le train [3]. « Il s’agit d’être au bon endroit, au bon moment, soit à bord, soit au sol », explique Anne-Sophie Marot, la cheffe du projet de service des territoires. « L’objectif du filtrage c’est d’empêcher les fraudeurs de monter à bord du train. » Le contrôle peut aussi se faire à la descente du train.
« Pour les opérations de "débarquement", on est uniquement dans la répression, pas dans la prévention », critique un agent. Mais la direction n’en démord pas (...)
Point positif : les contrôleurs sont désormais deux au minimum à bord des trains, alors qu’ils pouvaient être seuls auparavant. Mais pour le reste, la posture à adopter n’est plus du tout la même. Un document de la SNCF précise que le binôme doit « débuter rapidement le contrôle des clients sans procéder à une annonce, ni ronde commerciale ».
Mais l’injonction semble décalée avec les situations que rencontrent les contrôleurs dans les trains. (...)
ce que la direction attend de nous, c’est que l’on mette des amendes et que l’on fasse rentrer de l’argent. Mais ce n’est pas le but premier de mon métier ! »
(...)
Moins de contrôleurs, plus de déshumanisation
Pour Sud Rail, ce nouveau dispositif ne vise pas tant à lutter contre la fraude qu’à supprimer massivement des postes. Interrogée à ce sujet par Basta !, la SNCF assure que « le terme de "suppression" n’existe pas dans l’entreprise. On "redéploie" différemment les agents dans le temps ». Un cadre reconnaît toutefois que le dispositif comporte un volet « maitrise des coûts ». Selon des documents internes que nous avons pu consulter, la première phase de lancement du dispositif sur la région va bien entraîner une baisse de 21 emplois de contrôleurs, puis de 78 emplois. (...)
Le simple fait d’être là contribue à désamorcer les situations », avance un agent. « On a des formations en gestion des conflits, poursuit son collègue. C’est rassurant pour les usagers d’avoir un contrôleur à bord, notamment en soirée ». « Nous tenons énormément à cette présence humaine », appuie Jean-Claude Delarue, de la Fédération des usagers des transports et des services publics (FUTSP). D’après lui, les Rhônalpins risquent de vivre « le cauchemar des RER parisiens » où l’absence de contrôleurs dans les rames se traduit par des « rames dégradées », « une absence d’information en situation perturbée », voire « une multiplication du nombre d’agressions et d’incivilités envers les usagers et conducteurs du train ». (...)
En l’absence de contrôleur à bord du train, c’est désormais au conducteur que revient la tâche de la sécurité. « Le conducteur hérite d’une partie du travail des contrôleurs comme les annonces dans le micro en cas de situation perturbée sur la ligne, mais aussi d’être à l’écoute des situations tendues dans la rame, observe un représentant de Sud Rail. On disperse leur attention. » Les syndicats redoutent notamment les incidents de circulation. (...)
Un an après la mise en place du dispositif, selon une base de données de la SNCF qui recense les « événements sûreté », et que nous avons pu consulter, la gare de l’Arbresle, en grande couronne lyonnaise, recensait une augmentation de 1200 % d’incidents – de la dégradation à l’agression – passant de neuf problèmes signalés en 2010 à plus d’une centaine l’année suivante en 2011. (...)
À défaut d’être entendu par les élus régionaux, Sud Rail mène actuellement une bataille juridique et espère faire suspendre le projet. Une pétition est également en ligne[7].