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D’expulsion en expulsion, un mois dans la vie de migrants à Paris
Article mis en ligne le 1er juillet 2015

Le mois de juin a été marqué en France par les images des expulsions de migrants sous le métro la Chapelle puis de la Halle Pajol. D’expulsion en expulsion, les images de violences policières et de manifestations militantes envahissaient les réseaux sociaux et la presse web.

La photographe Laurence Geai s’est plongée dans l’histoire de ces migrants. Alors qu’elle continue de documenter la vie de certains d’entre eux et que le thème de l’immigration occupe les politiques et la presse européenne, elle nous raconte son mois de reportage à Paris. (...)

Je ne faisais pas de photos les premières fois que j’y suis allée. J’ai d’abord discuté. Les migrants qui dorment là sont tous dans des situations très différentes et ça, c’est important de le comprendre. Le camp de la Chapelle se divise en deux : un côté plus africain, et un côté plus maghrébin. Ils viennent en France pour des raisons diverses. Les Soudanais et les Erythréens migrent pour des raisons politiques, les Maghrébins plutôt pour des raisons économiques. Ce qui m’a frappé, c’est de voir que ce camp s’installait et grossissait de jour en jour. Et face à ça, les pouvoirs publics restaient complètement indifférents.

Tu ne savais pas que des expulsions se préparaient ?
Non, pas encore. Au début je pensais que des solutions seraient trouvées pour les habitants du camp. La rumeur enflait chaque jour comme quoi les autorités publiques viendraient les expulser. Et les habitants du camp stressaient de ne pas savoir où ils iraient. Est-ce qu’ils seraient séparés ? Qu’est ce qu’ils allaient devenir ? (...)

La grande question était de savoir si ils allaient être relogés ou pas. Je suis arrivée à 6h du matin le lendemain. Les flics avaient écarté tous les journalistes du camp. Ils m’ont interdit de passer. Je n’ai pu faire des photos que de loin. Des bus sont arrivés. La plupart des migrants n’ont pas pu prendre leurs affaires. La majorité des affaires personnelles, tentes, sac de couchage, matelas… tout a été détruit. Au départ, je ne savais pas quelle serait l’issue de ces expulsions. Je pensais qu’ils seraient relogés, qu’ils pourraient au moins dormir dans un lit. Le camp de la Chapelle était dans un état sanitaire déplorable. Les bus sont partis. Je suis revenue quelques heures plus tard pour voir le camp vide. Et là, je me suis rendue compte qu’il y avait plein de personnes laissées sur le carreau. Tout le monde n’avait pas pu monter dans les bus. Ceux qui étaient restés là n’avaient plus de tentes ni de sacs de couchages puisque tout avait été détruits par les autorités. (...)

En arrivant au square, j’ai halluciné du nombre de réfugiés présents. Il y en avait une bonne centaine. Ils dormaient par terre ou sur des matelas de fortune. Certains s’abritaient sous les jeux pour enfants. Dès le lendemain, les CRS sont arrivés pour les sortir du square et les mettre à la rue. Ils les attrapaient comme si c’était des délinquants. Les réfugiés prennent peur, ils décident de tous s’asseoir, rendant la tâche d’expulsion plus difficile. Mais les CRS décident, pour une raison inconnue, d’emmener les migrants dans le métro. Et là, ça a dégénéré. Les forces publiques jetaient les migrants dans le métro, sous les yeux ébahis des passagers. Personne ne comprenait pourquoi c’était aussi violent. (...)

Finalement, les CRS se sont rendus compte que ça devenait dangereux parce qu’il y avait de plus en plus de monde sur le quai du métro. Ils ont laissé tombé et fait ressortir tout le monde. Le groupe de réfugiés s’est donc rendu au gymnase de la Halle Pajol. (...)

D’où ils vont se faire expulser également…
Oui et de façon très violente et déshumanisante. Les riverains se sont interposés entre les forces publiques et les migrants. Toute cette scène était incroyable. Dans ce genre de contexte, c’est important qu’on soit sur place pour montrer comment l’État a traité ces gens. (...)

Une fois que tu t’intéresses aux sans papiers et à ces réfugiés, tu as du mal à décrocher. Je n’arrive pas à lâcher l’histoire. Ils ont des vies difficiles, des vies qu’on ne peut même pas imaginer. Leur réserver un accueil aussi sordide alors qu’ils ont eu ces vies là, c’est terrible. Une fois que tu racontes leur histoire, tu ne peux plus fermer les yeux. C’est aussi pour ça que certains d’entre nous ne veulent pas les voir. Ils savent qu’au fond, si on leur racontait ne serait-ce qu’un dixième de leur histoire, ils ne pourraient pas les ignorer, ils seraient obligés de leur ouvrir la porte.