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Mediapart
Deux jeunes Afghans racontent les sévices subis dans un commissariat parisien
#violencespolicieres #migrants #MNA #immigration
Article mis en ligne le 23 août 2025
dernière modification le 20 août 2025

Placés en détention après l’expulsion d’un campement de fortune dans le XVIIIe arrondissement à Paris, deux jeunes hommes afghans ont porté plainte : ils racontent avoir été tabassés et humiliés par des officiers de police. Une enquête a été confiée à l’IGPN.

Au milieu de l’été, les exilés dormant sous le pont du métro de La Chapelle (Paris) ont vu à plusieurs reprises leurs tentes et affaires personnelles détruites par des policiers qui évacuaient le camp au petit matin. Le lundi 4 août, lors de l’une de ces expulsions, deux jeunes Afghans, Ismail et Sayed*, sont interpellés par une équipe de police du XVIIIe arrondissement.

Emmenés au commissariat de la Goutte-d’Or, ils racontent y avoir subi des violences et des humiliations de la part de plusieurs officiers. Le parquet a ouvert une enquête visant les officiers de police, pour violences avec arme, destruction et dégradation de biens, et injures publiques en raison de l’origine.

Mediapart a recueilli leur témoignage, conforme à celui qu’ils ont livré à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), et concordant avec ce qu’ils avaient déclaré à chaud aux médecins de l’ONG Médecins sans frontières (MSF) qui les avaient reçus. (...)

Comme lors des expulsions précédentes, les policiers vident les tentes, les déchirent et détruisent les affaires personnelles qui ne sont pas immédiatement récupérées, alors même que les habitants les revendiquent. Ces évacuations se font hors du cadre légal prévu pour ce type d’opération, puisqu’elles ne sont l’objet ni d’arrêtés préfectoraux ni de décisions de justice.

Interrogée par Mediapart, la préfecture de police de Paris rétorque que cette expulsion n’est pas une évacuation, mais « une opération de nettoyage », au cours de laquelle les forces de l’ordre interviendraient pour « assister les services de la propreté ». La préfecture n’a en revanche pas répondu à nos questions sur la suite des événements.

Alors que l’intervention policière est en cours, Ismail, un réfugié afghan âgé de 31 ans vivant dans le camp depuis un peu plus d’un mois, est interpellé. Sur des vidéos prises par d’autres habitants du camp, on le voit se diriger vers une tente, avant de se faire attraper par une policière puis d’être plaqué par trois officiers contre un muret.

L’un d’entre eux le maîtrise en lui serrant violemment le cou avec son bras, d’un geste ressemblant à une clé d’étranglement – interdite en France depuis 2021. Ismail tente alors de se relever, puis est poussé au sol par ce même officier, qui le plaque sur le ventre en l’écrasant de son poids. Auprès de l’IGPN, il raconte avoir également subi deux décharges de taser.

Au même moment, la policière pointe du doigt Sayed, demandeur d’asile afghan âgé de 20 ans, arrivé il y a trois mois en France. Celui-ci se tient bras croisés et immobile, quelques mètres plus loin. Un des policiers se dirige alors vers lui pour l’interpeller. « Il était en train de filmer juste avant, et on voit qu’ils font la chasse aux téléphones portables », analyse l’avocat des deux plaignants, Florian Bertaux, qui voit donc une forme de représailles dans cette arrestation.

Les deux jeunes hommes sont alors conduits séparément au commissariat du XVIIIe arrondissement. Dans son récit à Mediapart, et sans qu’il l’ait mentionné auprès de l’IGPN, Ismail assure avoir été traité par l’un des officiers de « fils de pute » à trois reprises sur le trajet.

Déferlement de violences (...)

Ismail et Sayed racontent ensuite une scène que leur avocat compare à de la « torture ». Les policiers leur placent des poubelles sur la tête et frappent les deux hommes, jusqu’à faire tomber Ismail. « Je ne pouvais pas bouger la main ni la jambe. J’étais par terre. Il y avait du sang par terre et sur la chaise », témoigne-t-il.

À ses côtés, Sayed corrobore son récit, tout en enchaînant : « Le sceau [la poubelle – ndlr] est tombé, ils l’ont remis sur ma tête et un policier m’a donné un coup de pied au niveau des côtes », raconte-t-il. « On voyait la trace de sa chaussure sur mon pull », ajoute le jeune homme, qui décrit aussi des coups de poing.

Quelques minutes plus tard, l’une des policières se serait avancée vers Sayed et lui aurait inséré un stylo dans l’oreille, puis dans l’autre. « Elle m’a levé vers le haut avec le stylo. J’ai saigné des oreilles », témoigne le jeune homme. L’équipe mobile de Médecins sans frontières, qui a reçu les deux exilés, a pris en photo les oreilles de Sayed, encore tachées de sang séché. (...)

Sayed raconte ensuite avoir vu l’un des policiers verser le contenu d’une bouteille d’eau sur le sang au sol. Selon les deux jeunes hommes, ce même policier attrape alors Ismail par l’épaule, lui tend une serpillière et lui demande de nettoyer le sol et les chaises. Après qu’il s’est exécuté, aurait suivi un nouvel acte d’humiliation. « Un autre policier a pris la serpillière pleine de sang et d’eau, m’a frappé et a frotté mon visage avec. Il m’a dit : “On est la police, ici c’est la France, fais attention sinon je te frappe” », raconte Ismail.

Après avoir mis la serpillère dans la bouche d’Ismail, l’un des officiers remet le téléphone de Sayed dans sa poche, l’écran cassé. Les deux jeunes hommes racontent les rires de certains policiers. « Ils ont mis une feuille pliée en bateau sur sa tête pour l’humilier », raconte Sayed à propos de son camarade – scène que les officiers auraient reproduite sur lui juste après. « Si tous les faits sont démontrés, je demanderai la requalification en torture et actes de barbarie », annonce leur avocat Florian Bertaux, qui mise sur la réquisition des images de l’intérieur du commissariat pour soutenir cette procédure. (...)

Les exilés sont ensuite emmenés en salle de fouille, où ils expliquent avoir de nouveau été frappés par des officiers, cette fois à l’aide de leurs propres ceintures. À ce moment-là, Sayed nous raconte avoir vu un policier lui faire signe de se taire, l’index posé sur la bouche.

Quelques heures plus tard, les deux détenus sont amenés individuellement dans une salle à l’étage du commissariat, afin de rencontrer un interprète et d’être interrogés par les policiers. Lorsque les deux hommes demandent la raison de leur interpellation, on leur répond qu’ils auraient frappé des policiers.

Lors de cet interrogatoire et en présence de l’interprète, Sayed raconte à Mediapart qu’un policier lui aurait demandé d’imputer des violences à Ismail. « Ils m’ont dit que j’irais en prison si je ne témoignais pas. Mais je ne peux pas mentir », explique-t-il. Aucun des deux hommes ne s’est vu proposer l’assistance d’un avocat.

De cette détention, les deux jeunes exilés sont sortis traumatisés. (...)

« J’avais juste peur qu’ils me tuent », avoue Sayed. À ses côtés, Ismail raconte ne pas avoir dormi pendant quatre jours après sa garde à vue. « Ce sont des choses qu’on ne peut pas inventer, estime Florian Bertaux. C’est suffisamment précis et commun aux deux récits. »