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Mediapart
En RDC, le parc des Virunga incarne un siècle de colonialisme vert et de rébellions armées
#RDCongo #colonialismeVert
Article mis en ligne le 23 août 2025

La plus vieille réserve d’Afrique a été créée dans l’est de la République démocratique du Congo durant la colonisation belge, au détriment des populations locales. Il est l’une des causes anciennes de la déstabilisation de la région.

A la fin du XIXe siècle, c’est avec prudence que les explorateurs européens murmuraient « Ibirunga ». Ce terme kinyarwanda désignait la chaîne de volcans, éteints ou actifs, qui marquait l’horizon de territoires encore mal connus. Ainsi le Rwanda où les Allemands venaient de pénétrer, l’est du Congo attribué à la Belgique par la conférence de Berlin, ou l’Ouganda, perle des possessions britanniques.

L’engouement pour la région des volcans commence lorsque Robert von Beringe, capitaine de l’armée coloniale impériale d’Afrique orientale, abat deux gorilles de montagne sur les rampes du volcan Sabyinyo et envoie l’une des dépouilles au Berliner Zoologische Museum.

Dans un ouvrage collectif consacré au parc des Virunga à l’occasion de son centenaire, l’historienne Patricia Van Schuylenbergh relate que cette région montagneuse suscita immédiatement l’engouement des nations colonisatrices, comme la curiosité des établissements scientifiques et des musées occidentaux.

Après que le roi Léopold II a légué à la Belgique en 1908 le vaste Congo – jusque-là sa propriété personnelle –, le ministère belge des colonies se voit chargé d’administrer le territoire. Il doit répondre aux nombreuses demandes de permis de chasse, inspirées par le désir de ramener de spectaculaires trophées. (...)

En 1925, devançant d’une année la création du parc national Kruger en Afrique du Sud, le parc national Albert voit le jour. Il sera rebaptisé plus tard parc national des Virunga. (...)

Les Bambutis privés d’accès aux terres

En 1929, le parc national Albert s’étend sur 200 000 hectares, depuis le versant oriental des monts Ruwenzori en Ouganda jusqu’à la forêt équatoriale où vivent les okapis. À l’heure actuelle, sa superficie est de 7 800 kilomètres carrés, sur une longueur de 300 kilomètres de long et 23 kilomètres de large. Considérés comme un patrimoine commun de l’humanité, les parcs nationaux du Congo sont officiellement consacrés à la recherche et à la protection de la faune et de la flore. Si le tourisme est envisagé, c’est dans l’espoir qu’il puisse contribuer au travail scientifique.

En revanche, c’est en vain que le gouverneur général du Congo rappelle aux décideurs belges que les populations locales ont besoin de terres cultivables : décision est prise d’interdire l’ensemble de la région des volcans à toute présence humaine. Les activités de cueillette, de chasse ou de pêche ainsi que la récolte des plantes médicinales, spécialité des Pygmées appelés Bambutis, seront strictement réglementées sinon prohibées.

Depuis, les populations locales n’ont cessé de revendiquer leur droit de couper des bambous, de mener paître le bétail en saison sèche, ou de pêcher dans le lac Édouard et la rivière Rutshuru. Elles réclament aussi des terrains pour installer des habitations et entreprendre des cultures sur les rives du lac. (...)

À la fin du génocide des Tutsis en 1994, lorsque se termine l’opération française « Turquoise » déployée dans le sud-ouest du Rwanda, quelque 750 000 réfugiés, des Hutus, civils et militaires qui ont souvent pris part aux massacres fuient la prise de pouvoir du Front patriotique rwandais. Ils traversent la frontière congolaise, s’éparpillent dans le Nord ou le Sud-Kivu et s’installent aussi en bordure du parc des Virunga.

Les dégâts – jamais comptabilisés ou dédommagés – sont immenses : alors que les agences humanitaires fournissent nourriture et abris, les réfugiés trouvent sur place le bois qui leur permet de cuisiner, de renforcer leurs huttes faites de branchages entrecroisés, ou encore de se lancer dans le commerce du charbon de bois. (...)

Mal payés, peu équipés, les gardes du parc sont impuissants face aux coupes de bois massives. Croyant bien faire, une ONG encourage même les réfugiés à créer des objets artisanaux en bambou, un bambou qui aura évidemment été coupé dans le parc. On apprend par la suite que le Rwanda a développé une industrie de bois tropicaux et exporte des meubles de prix dont la matière première provient du pays voisin. Au cours des années 2000, le braconnage s’est intensifié dans le parc des Virunga, il vise les antilopes, les buffles de forêt, mais aussi les éléphants.

Déforestation, infrastructures endommagées ou pillées, cultures de chanvre ou de tabac : le parc a payé un lourd tribut aux violences qui ont éclaté dans la région, depuis le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994 jusqu’à la fin officielle des guerres congolaises en 2002.

Un véritable « hippocide »

En réalité, si la République démocratique du Congo (RDC) a pu être réunifiée, l’est du pays n’a jamais connu la paix et le parc des Virunga a toujours abrité des groupes rebelles, d’origine rwandaise et ougandaise, des contrebandiers et des chasseurs d’animaux rares (...)

Lorsqu’en 2006 un gouvernement d’unité nationale se met en place à Kinshasa, on découvre aussi que des rebelles islamistes, Allied democratic forces (ADF), venus d’Ouganda, ont commencé à s’installer dans la partie nord du parc. Neuf gorilles sont tués « pour l’exemple », afin de dissuader les gardes chargés de la protection des grands singes de leur empêcher l’accès à la forêt et la production de charbon de bois. (...)

Cependant, le pire n’est jamais sûr : lorsque les patrouilles sont à nouveau autorisées à approcher et à recenser les gorilles, il apparaît que leur nombre total, au lieu de décliner comme on le redoutait, a crû de 8 % ! Par contre, les populations des mammifères en général sont en chute libre, et les hippopotames qui barbotaient sur les rives du lac Édouard ont été impitoyablement abattus par les groupes armés, au point d’inventer alors le terme « hippocide ».

Les photos du massacre de la famille de neuf gorilles, largement diffusées, ouvrirent la voie à une nouvelle équipe de gestion. Avec le soutien de l’Union européenne, un « partenariat public-privé » se met en place. (...)

Cependant, l’activité économique du parc des Virunga n’a pas réussi à désamorcer la violence qui hante la région. Elle reste présente sous plusieurs formes. Politique, lorsque des personnalités locales – alliées à l’un ou l’autre des groupes armés – s’emploient à dénigrer le parc dans des discours incendiaires et souvent électoralistes. Économique, lorsque, en 2009, le ministère des hydrocarbures attribue une concession d’exploration à la société pétrolière Soco, cotée en Bourse à Londres.

Cette décision suscite une intense campagne internationale de protestations, mais se solde aussi par des actions violentes sur le terrain. Finalement, en 2015, la révélation de transactions bancaires entre un officier supérieur et la société pousse Soco à se retirer du projet. (...)

En plus des innombrables groupes armés qui parcourent le parc et des communautés locales toujours désireuses de reprendre leurs terres familiales, la politique internationale est venue ajouter une menace supplémentaire sur l’institution centenaire. L’un des termes de l’accord de paix proposé par les États-Unis, autoproclamés médiateurs dans la guerre opposant les rebelles du M23 et leurs alliés rwandais aux forces gouvernementales, concerne ainsi l’accès aux parcs et aux réserves naturelles.

Donald Trump a tout simplement suggéré que Kigali soit associé à l’exploitation des parcs naturels de la région, y compris ceux qui se situent entièrement en territoire congolais et jouxtent le parc national des volcans rwandais, joyau du tourisme national.

Il est de notoriété publique que, du temps où les deux hommes se parlaient et négociaient des accords économiques, le président rwandais, Paul Kagame, avait proposé à son homologue congolais Félix Tshisekedi d’ouvrir, côté rwandais, un accès au parc des Virunga, voisin du parc des gorilles. Il se disait disposé à mettre en place, de son côté de la frontière, des infrastructures hôtelières et autres facilités d’accès…

Si cet ambitieux projet a été éclipsé par la guerre, on ne peut exclure que la paix imposée par les États-Unis ne le remette au goût du jour. Et qu’un jour des Rwandais soient autorisés à patrouiller aux côtés des gardes de l’Institut congolais pour la conservation de la nature.