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Slate.fr
2017, la présidentielle de trop
Article mis en ligne le 11 mars 2017
dernière modification le 6 mars 2017

Cette élection est devenue un scrutin dangereux, qui ne sert plus qu’à produire de la frustration et à fournir un supplément d’âme symbolique à une fonction affaiblie

je me dis non seulement qu’élire plus souvent le président n’est pas la panacée, mais qu’il serait peut-être temps que nous, électeurs « de base », ne l’élisions plus tout court.

Cette idée encore marginale est de moins en moins silencieuse. En 2014, l’éditorialiste de France Inter Thomas Legrand déplorait, dans un livre au titre programmatique, Arrêtons d’élire des présidents ! : « le mode de désignation du président [...] entraîne tant de faux débats, des clivages factices, de la bipolarité artificielle, de l’infantilisation populiste ». Un an plus tard, la journaliste de Challenges Ghislaine Ottenheimer, dans Poison présidentiel, voyait dans cette exception française (nous sommes le seul pays d’Europe de l’ouest à élire au suffrage universel direct un président si puissant) une fierté imméritée : « Que la France ne soit pas tombée, comme les démocraties parlementaires, dans la médiocrité des combines et des coalitions procure une sorte de sentiment de supériorité. » Sentiment qui entrave le développement de notre démocratie :

« La IVe fut une calamité, un cauchemar. La Ve, elle, est un roc. Voilà le diktat des élites dans leur immense majorité. Et l’élection du chef en est la clef de voûte. »

Dans un essai publié en 2002, Stéphane Baumont, maître de conférences en droit public à l’université de Toulouse, assimilait lui la présidentielle à une « ambiance de guerre civile froide, [...] un affrontement, bloc contre bloc, ne correspondant à aucune réalité sociologique ». Aujourd’hui, il explique que la meilleure solution serait de faire élire le chef de l’État par un collège d’élus assez large, et estime ironiquement que la suppression de la présidentielle au suffrage universel direct « fait partie des utopies ou hérésies de politiques ou d’universitaires, qui se heurtent à la fréquente affirmation selon laquelle supprimer cette élection serait supprimer la démocratie ou la République, au motif que c’est celle qui connaît le moins d’abstention ».

Une machine à produire de la déception (...)

les enquêtes d’opinion menées depuis une décennie montrent que l’institution présidentielle en tant que telle ne fait pas l’objet d’une confiance plus grande –elle est même souvent un peu plus basse– que le Parlement, et est nettement moins populaire que les institutions locales. La présidentielle est une machine à produire de la participation, mais aussi de la déception. Une drogue à la descente très amère, et dont nous réclamons des doses toujours plus fortes (en médiatisation, en sondages, en rebondissements...). (...)

En 2002, la dispersion des voix à gauche a permis l’élimination de Lionel Jospin et la présence au second tour de Jean-Marie Le Pen, candidat seulement capable de passer d’un tour à l’autre de 17% des voix à... 18% (là où l’éliminé du premier tour était donné autour de 50%). En 2007, le troisième homme François Bayrou était plus populaire que les deux finalistes, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, avant le premier tour, et donné vainqueur en cas de duel face à la droite ; juste après son élimination, sa cote de popularité monta davantage que celle des deux qualifiés...
« Je ne vote pour personne. Je vote seulement contre »

En réalité, la présidentielle française n’a vraiment été efficace que quand notre système de partis a été le plus « lisible », dans les années 1970 et au début des années 1980. (...)

Cette année, on ne choisit plus : on élimine tout le temps. « Un ami français m’a récemment dit : “Je ne vote pour personne. Je vote seulement contre”. Voilà le mantra dépressif de la politique française actuellement », écrivait la semaine dernière Robert Tombs, professeur à Cambridge, dans le magazine conservateur britannique The Spectator. (...)

À l’électeur convaincu se substitue progressivement un électeur stratège dont le critère devient, dès le premier tour, de limiter le danger (...)

De Gaulle, lui, voit moins la présidentielle comme une féroce lutte électorale que comme un plébiscite à venir, et se fait mystique : « Je n’arrive pas à croire que le pays, dans sa masse, ne soit pas guidé, le moment venu, par une sorte d’instinct. Il élira quelqu’un qui ne soit pas un extrémiste. » Tout l’esprit originel de la présidentielle est dans cet « instinct », dans cette communion directe entre le peuple et l’Élu majuscule, supposée passer par dessus la tête des partis (ce qui n’a pas empêché les quatre derniers présidents d’avoir tous été chef de parti avant leur élection...). (...)

À des degrés divers, les cinq « grands » candidats de 2017 incarnent tous cette problématique. Marine Le Pen, depuis longtemps convertie à la mystique personnelle, au point d’avoir donné à son rassemblement son propre prénom. Emmanuel Macron en lévitation, qui admet que « c’est une erreur de penser que le programme est le cœur d’une campagne. La politique, c’est mystique. C’est tout mon combat ». Jean-Luc Mélenchon démultiplié en hologramme, son corps indispensable à la propagation de la bonne parole. François Fillon plombé par les affaires, qui viennent souligner en creux à quel point, dans ce scrutin encore plus que dans les autres, le destin d’un camp dépend du comportement d’un seul. Et Benoît Hamonn qui a attaqué dans son discours d’investiture « cette forme d’immaturité qui consiste à proposer un guide au peuple et à la nation » –une manière de reconnaître qu’en France, c’est le modèle majoritaire. (...)

Supposé renforcer les candidats, le système des primaires a ajouté un jeu de massacre à une politique française déjà connue pour sa propension à sanctionner les sortants. (...)

Des masses face à un Magicien

Au final, demeure ce paradoxe : on investit toujours autant sur l’élection présidentielle, on vante encore sans cesse la « verticalité » de ce scrutin, mais la fonction présidentielle n’a jamais paru aussi affaiblie et ses prétendants vulnérables. (...)