
Dans Vers la sécession scolaire ?, le sociologue et économiste, spécialiste de l’analyse des mécanismes de ségrégation sociale en milieu scolaire, interroge la très inégale répartition des élèves au sein des collèges publics, ainsi que les privilèges du privé.
En analysant les indicateurs de position sociale, Youssef Souidi met en évidence la ségrégation scolaire qui pèse sur les collèges. Plus que le prolongement de la ségrégation sociale qui marque les territoires, ce qui ressemble à un mouvement de « sécession scolaire » renvoie aux effets de la carte scolaire, aux stratégies de contournement des familles, mais aussi au poids de l’enseignement privé, qui bénéficie de larges subventions sans pour autant devoir rendre de comptes sur les modalités de sélection des élèves.
Un point du programme des cent premiers jours du Nouveau Front populaire souligne cette exigence de transparence et la nécessité de moduler les subventions en fonction de la mixité sociale des élèves. (...)
La ségrégation scolaire désigne le fait que les établissements scolarisent des publics aux caractéristiques très différentes, soit en termes de niveaux scolaires, soit en termes de niveaux sociaux. Dans une situation de ségrégation scolaire totale, il y aurait des établissements à 100 % constitués d’élèves socialement favorisés ou défavorisés.
Bien sûr, les choses ne sont jamais aussi claires. Les collèges français se caractérisent par des écarts très importants quant aux indices de position sociale (IPS). Ce qu’on entend souvent c’est que ces écarts découlent de la ségrégation résidentielle, alors que celle-ci n’est en réalité qu’une partie de l’explication. (...)
La carte scolaire est souvent vécue comme un carcan par les familles. Si les parents ne sont pas satisfaits du collège de secteur, ils peuvent demander une dérogation vers un autre collège public, ce qu’une famille sur dix fait.
Ils peuvent aussi recourir aux établissements privés, la plupart largement subventionnés mais qui peuvent sélectionner les élèves et imposer des frais de scolarité. Dans certains territoires, le choix scolaire est un véritable dilemme et les familles doivent engager de véritables stratégies scolaires.
Par endroits, moins de la moitié des familles scolarise leurs enfants dans les collèges de secteur. Ce n’est pas un phénomène uniquement parisien. La situation est la même dans d’autres métropoles, mais aussi dans des villes plus modestes comme Perpignan, qui compte à la fois des écoles privées parmi les plus favorisés et des collèges publics parmi les moins favorisés de France. Dans les territoires ruraux, il y a moins de choix et d’offre scolaire, la lutte des places est donc moins prégnante. (...)
Parler de sécession renvoie au dualisme scolaire qui fait que certains établissements se spécialisent dans l’accueil des enfants de familles favorisées, au gré des stratégies parentales de ces dernières… Quelques signaux confortent cette question de la sécession, comme l’écart social entre public et privé, qui ne cesse de s’aggraver depuis les années 1980. On trouve des collèges favorisés et défavorisés qui sont très proches géographiquement.
L’enseignement privé jouit-il d’une situation particulière en France ?
En Belgique, les établissements privés sont largement subventionnés par les puissances publiques mais ont peu d’autonomie. En Angleterre, les écoles privées ressemblent à nos établissements hors contrat. Ils sont peu subventionnés mais ont une large autonomie dans la sélection des élèves.
En France, on a le meilleur des deux mondes : le privé est largement subventionné sans devoir rendre de comptes sur la sélection des élèves. Parfois la carte scolaire est tracée de telle manière que les élèves des centres-villes ne rencontrent presque pas ceux des quartiers populaires (...)
On peut trouver des collèges proches géographiquement et éloignés socialement. Cela montre que le système d’affectation en sixième permet de créer cette ségrégation et de contourner le collège unique.
Le collège unique n’a en fait jamais vraiment existé, et est d’ailleurs remis en cause régulièrement. (...)
une réforme qui a été faite dans la précipitation et dont la mise en œuvre interroge. Annoncée en fin d’année, bousculée par l’affaire Oudéa-Castéra, elle s’est ensuite heurtée aux différends entre le premier ministre et la ministre de l’Éducation. La communauté éducative reste vent debout contre cette réforme, tant les syndicats d’enseignants que ceux des personnels de direction. (...)
Ce privilège qu’a l’enseignement privé de bénéficier de larges subventions tout en s’exonérant des exigences de la mixité sociale interroge. Il faut demander plus de transparence de la part du privé quant aux critères d’admission des élèves. On ne pourra pas atténuer cette ségrégation scolaire sans revoir les modalités d’association entre le secteur privé et l’État. (...)
dans le programme des 100 premiers jours du Nouveau Front populaire : « Moduler les dotations des établissements – y compris privés – en fonction de leur respect d’objectifs de mixité sociale ». (...)
Le livre de Félicien Faury, Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite, qui traite du racisme dans le vote RN, montre combien la question ethnique revient chez ses électeurs et les stratégies scolaires des familles.
Parler de la ségrégation sociale, c’est parfois avoir des pudeurs de gazelle pour parler de la ségrégation ethnique, d’autant que l’extrême droite n’a pas besoin de ces chiffres pour prospérer. Dans ce débat sur la ségrégation scolaire, le fond du problème est l’écart entre les grands discours publics sur la cohésion sociale ou le communautarisme et cette réalité qui perdure dans laquelle certains ne font jamais l’expérience de l’altérité sociale et culturelle. (...)
La mesure des CP dédoublés n’a pas eu autant d’effets qu’espéré. Ce label d’éducation prioritaire a inversement pu servir de repoussoir pour les familles. Aujourd’hui la carte scolaire date de 2014 avec des données de 2011 : elle n’est souvent plus adaptée dans la répartition de l’éducation prioritaire.