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Vivre toute l’année au camping, symptôme de la crise du logement
#logement #camping #inegalites #precarite
Article mis en ligne le 4 août 2024
dernière modification le 2 août 2024

Des dizaines de milliers de personnes vivent toute l’année au camping en France. Une précarité discrète, à l’ombre d’institutions qui rechignent à reconnaître ces situations, explique le sociologue Gaspard Lion.

Gaspard Lion est docteur en sociologie, maître de conférences à l’université Sorbonne Paris Nord. Il a publié Vivre au camping — Un mal-logement des classes populaires (ed. Seuil), résultat de son immersion pendant plusieurs années dans des campings du bassin parisien.

Dans cette enquête au long cours, il relate avec justesse le quotidien des personnes vivant à l’année au camping, parfois volontairement, parfois de façon subie. Il dénonce le regard misérabiliste que l’on porte sur toutes celles et ceux qui vivent dans des formes d’habitat dérogeant aux normes sociales en vigueur. (...)

La loi nous dit en creux que ce n’est pas destiné à une occupation permanente.

Les gérants sont ainsi très réticents à déclarer la présence des personnes, ils se savent en porte-à-faux avec la législation. Ces terrains de camping sont aussi très peu contrôlés par la puissance publique. Il n’y a pas eu de réflexion en haut lieu sur la base d’une situation qui aurait été définie comme problématique. (...)

Lorsque cette situation est évoquée, par exemple à l’Assemblée nationale ou au Sénat, elle est systématiquement évacuée avec l’idée que ces habitats dérogent aux normes du logement traditionnel et que ce serait dangereux pour ces habitants. Mais cela ne s’appuie sur aucune étude. (...)

On a surtout de grands gérants de camping qui y sont opposés. Ils ont donc tendance à minimiser l’existence du phénomène pour ne pas entacher l’attractivité touristique de ces lieux et à arguer que c’est inapproprié. Il y a un enjeu d’image. (...)

Des municipalités vont aussi utiliser les campings quand leurs administrés sont privés de logement, c’est alors la seule possibilité de les reloger.

Il y a également des situations où des gérants privés vont accepter des personnes qui venaient pour leurs loisirs et qui ont eu un accident de vie : divorce ou licenciement. (...)

Pourquoi de plus en plus de gens vivent-ils en camping ?

C’est à cause de la précarisation sociale, de l’augmentation des inégalités et de la paupérisation d’un certain nombre de ménages. (...)

Second facteur, la France offre un cadre particulièrement propice, avec 7 500 terrains de camping, plus de 860 000 emplacements. (...)

« Malheureusement, parfois,le provisoire va durer » (...)

Il peut y avoir un discours qu’on pourrait qualifier d’écologique chez certains, mais ce n’est pas la majorité. Beaucoup en font surtout une alternative à la maison individuelle inaccessible. ll s’agit de gens qui ont été socialisés durant l’enfance à ce type de territoire rural et qui y sont attachés. Ces personnes cherchent à se soustraire à ce qu’elles perçoivent comme des nuisances de la vie urbaine. Le fait d’avoir un potager, des fleurs, est très fortement apprécié. (...)

Peut-on faire un parallèle entre cette interdiction de vivre en camping à l’année et la législation assez sévère à l’encontre de l’habitat léger, comme les yourtes ou les tiny house ?

Complètement. Ces habitats dérogent aux formes de logement standardisées et heurtent les représentations sociales et culturelles de ce que devrait être un logement. La législation actuelle pense ces habitations uniquement par défaut, sans se donner la possibilité d’en saisir les qualités d’un point de vue écologique. Pourtant, ces habitats se développent dans des trajectoires de vie avec une dimension écologique, qui recherchent une alternative au modèle capitaliste.

Toutes ces personnes ont aussi en commun une précarité statutaire et sont privées de certains droits comme les APL, le fonds de solidarité logement pour la rénovation énergétique. Elles ne sont pas propriétaires du foncier et ne sont jamais à l’abri d’une expulsion.

Si l’on veut les protéger, améliorer leur vie et permettre l’expérimentation d’autres manières d’habiter dans les territoires ruraux, il faut revoir la législation et donner à ces personnes les droits dont elles sont privées. (...)

Aujourd’hui, le regard dominant est largement misérabiliste. On saisit ces habitats uniquement de manière négative, en termes de manque, de carence, d’insécurité et de risque, sans reconnaître les qualités et les possibilités qu’ils offrent, ainsi que les styles de vie associés, en termes d’autonomie, d’écologie, de relations sociales et de solidarité.

Il est donc important de rendre visibles les manières de vivre et d’habiter qui s’y déploient, afin de déconstruire un certain nombre d’idées reçues sur ces habitats. (...)