
Chaque jour, des chauffeurs de bus condamnés pour violences sexuelles prennent le volant, malgré les risques de récidive. D’après l’enquête de Disclose, les trois-quarts de leurs victimes étaient mineures au moment des faits. Enquête sur un fléau facilité par l’absence de contrôle des employeurs, comme des autorités.
David Ramault a assuré les lignes régulières ou scolaires de la région lilloise pendant huit ans pour le compte de trois sociétés de transport. Sans que personne ne s’inquiète de son passé judiciaire. Pourtant, avant de s’en prendre à Angélique Six, David Ramault avait été condamné à neuf ans de prison pour le viol d’une mineure et l’agression de trois autres femmes ; il était même inscrit au fichier des délinquants sexuels (Fijais).
Pour comprendre comment le meurtrier d’Angélique a pu mener sa carrière de chauffeur de bus sans éveiller de soupçons, Disclose a voulu interroger ses principaux employeurs. À commencer par la société privée Delahoutre, qui l’a salarié un peu plus d’un an entre 2005 et 2007. Le responsable d’exploitation de l’entreprise ouvre le parapluie, renvoyant vers sa direction, qui n’a pas retourné nos questions. De fait, aucun texte n’oblige un dirigeant d’entreprise de transport à contrôler les antécédents judiciaires de ses salariés. Rien n’interdit non plus de recruter un chauffeur de bus scolaire condamné pour viol sur mineur, alors que près d’un quart des délinquants sexuels récidivent, selon le ministère de la justice. Au mieux, le patron peut demander à son futur salarié de lui fournir un extrait du casier judiciaire n°3, où figurent seulement les peines supérieures à deux ans de prison. Mais il peut tout à fait choisir d’ignorer les risques. (...)
C’est précisément ce qu’il s’est passé, en 2008, avec le deuxième employeur de David Ramault : Nord Keolis, une filiale locale du groupe Keolis, détenu à 70 % par la SNCF. Selon l’enquête judiciaire liée au meurtre d’Angélique Six, la direction de l’entreprise lui a demandé un extrait de casier. Mais personne n’a tenu compte de sa condamnation pour viol. (...)
Même chose en janvier 2015, au moment de son embauche dans une autre filiale de Keolis : Transpole (actuel Ilévia), le réseau de transports en commun lillois. Malgré un examen de son casier judiciaire, le profil de David Ramault n’a suscité aucune inquiétude. (...)
Aujourd’hui, la sœur d’Angélique Six demande des comptes. « Les casiers judiciaires des chauffeurs devraient être beaucoup plus contrôlés, explique-t-elle à Disclose. C’est un métier où l’on est constamment au contact d’enfants ». Elle est d’autant plus déterminée que la profession de David Ramault, à ses yeux et ceux de ses parents, le rendait « insoupçonnable ». Un alibi que le meurtrier de sa sœur a pu construire en partie grâce à l’inaction des pouvoirs publics.
En poste malgré une interdiction d’exercer
Les graves manquements qui ont jalonné le parcours de David Ramault sont loin d’être isolés. Notre enquête, basée sur l’analyse de plusieurs centaines de documents judiciaires et les témoignages de victimes à travers la France, révèle qu’au moins 27 conducteurs de bus et d’autocars sont restés en poste malgré une condamnation, une plainte ou un signalement à leur employeur, depuis 2005. Parmi eux, 21 avaient déjà commis des violences sexuelles. (...)
La responsabilité des pouvoirs publics en question (...)
Les choses pourraient bientôt changer. À la suite d’un entretien effectué dans le cadre de cette enquête, en janvier dernier, la sénatrice (LR) Marie Mercier a fait adopter un amendement pour que les gérants de sociétés d’autocar et de bus puissent enfin consulter le fichier national des auteurs de violences sexuelles. Une avancée notable qui doit encore être confirmée lors d’un vote prévu à l’Assemblée nationale d’ici l’été.